lundi 30 octobre 2017

Ecriture créative, Session 3: La 'voix'

Episode précédent ici!




La voix d'un texte. Qu'est-ce que c'est? A quoi ça sert? Ca mange quoi l'hiver, comme dit ma grand mère? Mystère. Dans les milieux anglosaxonneux, on entend souvent ce mantra magique: en tant qu'auteur/e, 'Il faut trouver ta voix.'

Voi/e.x

Où ça? Comment? Pourquoi? C'était tout l'objet de cette session-là.

'La voix' est un concept assez particulier de par son omniprésence dans le jargon de l'écriture créative... contrebalancée par sa relative absence dans le jargon de l'analyse littéraire. L'un des objectifs de cette session, pour moi, était donc de parler de ce concept de manière critique autant que de manière constructive.

Préparation

Les étudiantes devaient lire et prendre des notes sur: (comme toujours le vert est en accès ouvert)
  • ‘Persona, Tone, and Voice’ et ‘Point of view’, in Abrams, M.H. (ed.) (2005). A Glossary of Literary Terms. Boston: Wadsworth. Link
  • Bowden, D. (1995). The Rise of a Metaphor: "Voice" in Composition Pedagogy. Rhetoric Review, 14(1), 173-188. Link
Ces deux lectures étaient censées leur donner une vue d'ensemble du grand problème dont on allait parler, c'est-à-dire du fait qu'il est très difficile de définir 'la voix', et que dans les pédagogies liées à l'apprentissage de l'écriture créative c'est un concept particulièrement vague et parfois idéologiquement douteux, qui a sa propre histoire.

Elles devaient également lire un document avec une compilation de plusieurs versions du Petit Chaperon Rouge: celui de Perrault, celui des Grimms, celui de Roald Dahl, celui d'Angela Carter dans The Bloody Chamber, et un dessin animé de l'époque soviétique. Ceci était pour préparer l'atelier.

Les lectures additionnelles étaient:
  • Chapter on ‘Voice’ in Genette, G. 1983. Narrative discourse: An essay in method. Cornell University Press. Link
  • Nielsen, H. 2004. The Impersonal Voice in First-Person Narrative Fiction. Narrative, 12(2), 133-150. Link
  • Nikolajeva, M., 1998. Exit Children's literature?. The Lion and the Unicorn22(2), pp.221-236. Link
  • Nodelman, Perry. "The other: Orientalism, colonialism, and children's literature." Children's Literature Association Quarterly 17, no. 1 (1992): 29-35. Link
  • Ross, S. (1979). "Voice" in Narrative Texts: The Example of As I Lay Dying. PMLA, 94(2), 300-310. Link
  • Wall, B. and Crevecoeur, Y., 2016. The Narrator's Voice: The Dilemma Of Children's Fiction. Springer.
  • In the Routledge Encyclopedia of Narrative Theory: Address; Narrator; Tense and Narrative; Voice
Pas de lecture guidée cette semaine (ouf, parce que c'est grave relou d'écrire l'article de blog ensuite...)

Par contre, elles devaient préparer des réponses aux trois questions suivantes:
D'après vos lectures et votre propre opinion, proposez une réponse argumentée aux trois questions suivantes:

- Comment définir la 'voix' d'un texte littéraire?
- A quelles caractéristiques du texte doit-on prêter attention si l'on cherche à explorer sa 'voix'?
- Trouvez un exemple d'un personnage dans un livre pour enfants ou pour adultes dont la 'voix' vous interpelle particulièrement, et expliquez pourquoi.
Première partie de la session

D'abord, je suis arrivée avec dans les mains une tourelle de bouquins pour enfants et ados, que j'ai distribués à toutes les étudiantes pour les forcer à bouquiner. Je suis Cruella de Vil en pire.

Ensuite on a commencé.

Comme d'habitude, la première partie de la session, qui était censée durer 25 minutes, a duré presque 50 minutes, parce que ma vision du time management est apparemment la même que celle du lapin blanc d'Alice aux Pays des Merveilles.

moi, avec un plus joli gilet
Cela dit, c'est aussi totalement la faute des étudiantes, car elles disent des trucs nombreux et intéressants, au lieu de se taire en croisant les bras et en regardant leurs téléphones.

Petit écart, mais je précise que très franchement, je suis convaincue que l'ambiance dans ce cours doit quelque chose à l'interdiction des écrans. Dans tous les autres que je dispense, les discussions sont assez mollassonnes et je dois préparer énormément de matériel, motiver à fond les étudiant/es, et leur tirer les phrases du nez comme un haleur de la Volga. Dans ce cours-là, ce n'est pas le cas. Et je ne peux pas l'attribuer seulement au fait que l'écriture, c'est trop cool et intéressant: déso, mais mes autres cours sont intéressants AUSSI! (non mais oh!) et c'est sensiblement le même format pour la discussion des lectures imposées.

Mais dans les autres modules, elles sont toutes constamment en double voire triple appel téléphone-ordinateur-tableau, et malgré le formidable cerveau multifonctions que les parents des Millennials leur ont tricoté il y a de cela une vingtaine d'années, ça ne fait pas durer les débats très longtemps.

J'en déduis qu'en l'absence de Whatsappfacebooktwitterinstagramgmailhotmailebayetsy, la seule chose à faire de son esprit, c'est de se concentrer, et franchement ça vaut carrément la peine, on dirait.

Bref, le premier débat a duré 50 minutes.

Il s'agissait simplement de parler des trois questions que je leur avais demandé de préparer, dans l'ordre, après une courte discussion (10 minutes) en binômes. 

Tiens, à la pause j'ai fait une petite photo du tableau pour vous donner une idée de mes spider diagrams (rien de révolutionnaire hein, mais ça illustre)

en gros le Powerpoint est projeté sur un tableau blanc et je barbouille autour

Je précise que s'il a l'air de faire très sombre, c'est que c'était le jour du Soleil Rouge, c'est-à-dire de l'ouragan Ophélia, apportant dans ses robes des poussières du Sahara qui nous ont un peu fait penser que la fin du monde était encore plus proche que quand Trump confond le bouton nucléaire avec le pouët pouët de son mini-tractopelle Toys R'Us.

y a comme un thème qui se développe dans ce billet de blog...
Ràv avec la choucroute, mais je ne résiste pas à l'envie de partager cet article du Yorkpress de ce jour-là, tout simplement intitulé:


Ce qui était en effet l'objet de tout un tas de recherches google à l'heure exacte où on avait cours d'écriture créative.

Bref, retournons à nos moutons: la Voix. Petit résumé de nos débats.

Qu'est-ce que c'est exactement, la voix? On a commencé, comme souvent, avec des synonymes, des considérations générales. Est-ce que ce ne serait pas un peu comme le style? Est-ce que c'est la même chose que le ton? Est-ce que ça ne serait pas la même chose que 'la narration'? A ce moment-là, on peut en parler de manière technique, à l'aide d'une analyse purement stylistique ou narratologique.

A moins que la voix, ce soit un point de vue, un message. Alors il faut passer à la critique idéologique, et dans le cas de la littérature jeunesse, parler aussi de didactique sans doute... On parle un peu du mouvement #OwnVoices: la campagne sur Twitter qui vise à faire en sorte que des auteur/es issu/es de minorités expriment leurs voix et racontent leurs propres histoires, pour éviter que d'autres auteur/es - plus privilégiés - ne se fassent les ventriloques, trop imparfaits, de ce qui ne leur appartient pas. La voix, en littérature - et particulièrement ces jours-ci en littérature jeunesse - est un objet politique sensible. Toute 'voix' d'auteur/e est socialement, politiquement, historiquement, etc. située. Comment faire pour que chaque voix soit entendue?

(Cet écart plus engagé dure très peu de temps: la discussion revient très vite sur une définition moins politique de la 'voix'. C'est quelque chose sur lequel je vais devoir travailler au fil des mois: ne pas perdre de vue la dimension politique de l'écriture créative.)

F. dit: la voix, elle a une certaine 'uniqueness': un caractère unique. Unique à qui exactement? La voix, peut-être que c'est un peu comme une personnalité, comme une identité d'auteur/e.

K. soutient qu'une auteure qu'elle retrouve de livre en livre, elle l'aime parce qu'elle a la même voix. Cette voix, dans ce cas-là, c'est peut-être ce qui réconforte, qui répond aux attentes. 

J'ajoute: Victor Watson, analysant les séries pour la jeunesse, dit que toute bonne série se doit de faire pénétrer le lectorat, à chaque nouveau livre, dans 'une chambre remplie d'amis'. Alors ce serait juste ça, la voix? Quelque chose qui permet une intimité, des retrouvailles de livre en livre dans tous les cas?
 
Mais est-ce nécessairement le cas? Est-ce qu'il y a des auteur/es qui changent radicalement de 'voix' de livre en livre?

Chaque personnage a sa voix, conviennent les étudiantes. Mais est-ce que toutes ces voix coalescent en une seule, qui définirait celle d'un texte?

Ou alors est-ce que quand on parle de 'voix', en fait, on ne fait que parler de la voix narrative?

A qui donc - ou à quoi - appartient la voix?

On fait un diagramme au tableau (visible sur la photo), qu'on peut résumer ainsi:

- Si 'la voix' est une propriété de l'auteur/e, alors elle devrait 'se retrouver' dans toutes ses oeuvres, y compris celles où il y a plusieurs narrateurs à la fois, ou des tas de personnages.

- Si 'la voix' appartient au narrateur, alors on pourrait imaginer une situation où deux auteur/es, écrivant à quatre mains un livre avec un seul narrateur, aient exprimé à deux... une seule voix.

- Et si c'est le narrateur, voire les personnages, alors est-ce qu'il peut y avoir plusieurs voix en un seul roman?

- Et même s'il n'y a pas plusieurs personnages, peut-on imaginer quand même un roman polyphonique? (cf. Bakhtin, que je rajoute subrepticement mais sans pouvoir vraiment en parler - pas le temps d'aborder une théorisation aussi compliquée...)

S. propose son exemple de voix qui l'a particulièrement frappée: le héros de The Shock of the Fall de Nathan Filer (un livre pour adultes) dont la 'voix enfantine' est très forte. Je l'interroge: comment savais-tu que c'était une voix enfantine? 'Je le savais, c'est tout...' Mais pourquoi? Difficile de le dire exactement...

La voix, cette chose typique du 'I know it when I see it', ce truc qui 'goes without saying'. Je le savais, c'est tout.

Tiens, autre cas, donc: un narrateur qui est enfant par moments et adulte par endroits... est-ce que la 'voix' du livre entier change alors, selon l'âge chronologique du narrateur?

P. propose son exemple de voix qui l'a particulièrement frappée: le narrateur de La voleuse de livres, de Markus Zusak, qui est La Mort. P. trouve que La Mort est une voix particulièrement forte parce qu'elle est 'détachée', 'ironique'. On convient que la meilleure manière de parler d'une voix, dans un premier temps, est d'en parler comme on parlerait d'une personne. C'est ce qui semble le plus naturel, même quand on parle, paradoxalement, de tout un texte...

Mais où exactement se trouve cette voix, textuellement? Comment est-elle construite? Peut-être à travers un lexique des émotions volontairement appauvri? P. ne se souvient pas (et moi non plus, parce que ma lecture de La voleuse remonte à quelques années).

N. tente à son tour de nous parler de 'la voix' qu'elle a aimée (hélas je n'ai pas noté le titre du bouquin et je ne m'en souviens pas) - elle était, nous dit-elle, 'snarky' (sarcastique, mordante) et intime, mais aussi ravagée, brisée par un événement passé dans la vie de l'héroïne. Moi: OK, et alors comment cela s'exprime, tout cet appareil de caractéristiques, textuellement? On arrive à une petite liste: des répétitions, des ellipses, des phrases fragmentées ou écourtées, des changements brusques de temporalité... 

Est-ce que la voix, c'est la somme de tout cela, ou alors tout cela... et encore un peu plus encore...?

Depuis le début on dit beaucoup de choses comme: c'est mystérieux; c'est un peu magique; c'est difficile de dire exactement où...; mais quand c'est là, on le sait...

On a clos la discussion en réitérant, de mon côté, que quand on parle de 'voix' il faut être bien consciente que c'est un concept très flottant, qui n'a pas véritablement d'équivalent en analyse littéraire stricto sensu, et que donc il faut l'exploiter seulement dans la mesure où il peut nous être utile en tant qu'auteures. 

Mieux comprendre ce que cela veut dire quand quelqu'un dit 'j'adore la voix de ce texte,' c'est important quand on veut écrire. Les éditeurs, les agent/es vont souvent dire: 'j'ai immédiatement accroché parce que la voix était tellement unique' - et les lecteurs et les lectrices reprennent souvent ce terme aussi - alors autant essayer de l'analyser, tout en restant critique, évidemment.

Lire comme un écrivain

Tout cela a pris, donc, beaucoup trop de temps, même si c'était plutôt utile pour défricher très largement le terrain. Il a fallu faire la pause alors que j'avais prévu de commencer les ateliers juste après la pause. FML. 

Mais bon, avant les ateliers, il fallait passer à des exemples concrets, alors je me suis dépêchée de commencer l'exercice suivant. J'ai donné à chaque étudiante deux-trois pages d'un roman contemporain, généralement ado, et elles devaient chacune le lire en silence avant de répondre aux questions suivantes en binôme, puis devant tout le groupe:
- Parlez de la voix du texte. Comment la définiriez-vous? Essayez d'y réfléchir d'abord en termes généraux, comme si c'était une personne - est-elle amicale, chaleureuse, froide, sévère? A quelle personne imaginez-vous qu'elle appartiennent?
- Identifiez et lisez tous les processus formels par lesquels cette voix se construit: perspective narrative, temps, procédés stylistiques récurrents, sonorité, rythme, registre de langue...
- Lire comme un écrivain: quels sont les 3 éléments dont vous vous inspireriez dans votre propre écriture, concernant la construction de cette voix?
- Quelles sont les choses que vous feriez différemment, ou dont vous pensez qu'elles ne sont pas très solides? 
Les textes distribués étaient:
  • Sita Brahmachari, Jasmine Skies (London: Macmillan, 2012)
    Anthony McGowan, Henry Tumour (London: Random, 2007)
    John Newman, Mimi (London: Walker, 2010)
  • Philippa Pearce, Tom’s Midnight Garden (Oxford: Oxford University Press, 1958)
  • Maria Turtschaninoff, Maresi (translated by Annie Prime, London: Pushkin, 2016)
  • Marcus Sedgwick, Revolver (London: Orion, 2009)
  • Dave Shelton, A Boy and a Bear in a Boat (London: David Fickling, 2013)
Alors là autant vous dire que la discussion a duré exactement cinq millisecondes parce que j'étais hystérique à cause du temps. Mais on a quand même eu des constats assez intéressants je trouve. Moi, cela m'a permis de voir que c'était compliqué, même après l'heure de brainstorming qu'on avait faite, de vraiment leur faire identifier précisément ce qu'elles voulaient dire quand elles définissaient la voix, et où ça se trouvait. Souvent on tournait un peu en rond: elles disaient des choses comme 'c'est une voix froide', et moi 'pourquoi?' et elles 'parce qu'elle est pas très chaleureuse', et moi 'comment tu le sais?' et elles 'parce qu'elle est assez dure', enfin j'exagère un peu mais vous voyez l'idée: il reste de grosses difficultés à l'analyse de texte, à l'examen précis et minutieux de la mécanique du texte.

Il faut que je précise à mon auditoire français que l'analyse de texte très précise type commentaire composé n'est pas vachement intense en Grande-Bretagne et qu'il est assez normal que ce soit difficile. Mais je pense que du coup j'avais entassé beaucoup trop de choses dans ce cours-là, c'était un peu intense.

En plus je pense que je les avais un peu embrouillées en ne répondant pas fermement à la question de savoir à qui 'la voix' appartient précisément (parce que, selon moi, il n'y a pas de réponse, bien sûr), et donc beaucoup d'entre elles faisaient principalement de l'analyse de la perspective narrative. Cela dit,  de ce point de vue-là c'était plutôt positif parce que j'ai pu voir que ce sur quoi on avait travaillé la dernière fois (identifier déjà si c'est à la première personne, à la troisième, externe, interne, omniscient etc.) était bien rentré, et devenu presque un réflexe déjà.

Ateliers

J'ai donc dit pour la cent neuvième fois de la journée 'je suis en retard, en retard, en retard!' et on est passées aux ateliers.

L'exercice de cette semaine-là est un grand classique des ateliers d'écriture: la réécriture du Petit Chaperon Rouge. "Aaaah!!! C'était donc à cela que servait la lecture des réécritures!" se sont exclamées toutes mes étudiantes en battant des mains de joie.

(Faux: il n'y a eu strictement aucune réaction de surprise, mais dans mes fantasmes mes cours résonnent de rires et d'applaudissements alors laissez-moi rêver OK.)

J'avais imaginé cet exercice un peu dans la lignée de l'exercice de la fois précédente, c'est-à-dire avec une contrainte de perspective narrative et de personnage, à laquelle j'avais aussi ajoutée une contrainte de temps du récit.

L'idée étant d'observer de manière très concrète les effets de cette triple contrainte sur la création d'une histoire et, potentiellement, de mieux identifier des procédés d'écriture qui orientent notre plume plutôt vers un type de voix ou vers un autre.

Chacune des étudiantes s'est vu donner un petit bout de papier contenant 3 mots:
- Un nom de personnage (Chaperon, loup, grand-mère ou bûcheron, + un omniscient)
- Une perspective narrative (1e, 2e, 3e du singulier et du pluriel); + une omnisciente
- Un temps (futur, passé, présent) (évidemment en anglais on n'a pas de distinction passé simple/ passé composé)
Il y en avait certaines d'assez 'simples' et d'autres évidemment plus loufoques, encore une fois cette fameuse 2e personne qui fascine beaucoup. Aucune consigne par contre quant aux paramètres de la réécriture, qui pouvait être de type conte de fées, ou réactualisée, ou tout ce qu'elles voulaient. 

Elles avaient 15 minutes pour écrire. 

Lecture et feedback


Pendant qu'elles écrivent, moi je bosse dans mon coin, mais après, pendant qu'elles débriefent avec leur voisine d'à-côté, je passe derrière elles et je lis par-dessus leurs épaules avec l'air de curiosité malsaine de Mrs Dursley quand elle étire le cou pour regarder par-dessus les clôtures des jardins des voisins. Cela me permet de dénoncer cruellement telle ou telle écrivaine qui aurait griffonné quelque chose dont j'aimerais qu'elle parle à tout le groupe dans la session de feedback générale.

En l'occurrence, l'une d'entre elles avait tricoté un texte d'une forte chouettitude pour le but qui nous intéressait, c'est-à-dire une voix particulièrement croquignolesque (n'est-ce pas monsieur le président?) suivant la consigne de 'Loup, 2e personne, passé.' Bon, alors en fait elle s'était un peu embrouillée parce qu'elle avait écrit au loup comme destinataire de cette 2e personne (façon 'toi, loup...') mais je ne lui en ai pas tenu rigueur, parce que c'était parfait comme exemple au groupe.

Elle avait écrit un texte (que je ne posterai pas ici évidemment) où le loup était comme mis en accusation, par un narrateur non-identifié, d'avoir commis les crimes dont il est question dans le conte. Donc à grands renforts de 'oui, toi, loup, qui as fait...; nous savons que tu as...; et ensuite que tu as...; n'essaie pas de nier que...; que réponds-tu à cela?' 'La voix', si tant est que cette chose existe, pouvait aisément être décrite comme sentencieuse, accusatrice, puissante, etc.; et ensuite il était tout aussi possible d'expliquer textuellement où les effets avaient lieu qui étaient particulièrement marquants: le 'choix' de la 2e personne, les questions rhétoriques, les impératifs, etc.

Il y a eu d'autres discussions assez intéressantes sur les effets produits par la consigne, mais ensuite il était tellement temps de partir que je n'ai même pas pu leur parler de leurs évaluations; j'ai dû reporter cela à la semaine d'après, et ça m'a mangé 20 minutes de la session suivante (je vous en reparlerai la semaine prochaine).

Ma conclusion générale c'est que cette session s'est passée pas trop mal mais que le concept reste trop vague pour être véritablement 'attrapable' en 110 minutes.

On n'a pas vraiment eu le temps de s'étaler sur la partie critique qui m'intéressait aussi beaucoup - 'pourquoi "la voix" est-il un concept si dominant dans les cours d'écriture créative?' - particulièrement dans ce que cela indique des idéaux d'originalité, d'individualité, d'identité, mais aussi de positionnement social et politique, et aussi d'inspiration et de 'génie' naturel, qui sont tellement forts dans les mythes entourant l'auteur et l'acte de création. Là on est restés dans des remarques utiles mais assez formelles et on n'a pas vraiment creusé ces aspects plus intéressants d'un point de vue théorique.

Par contre d'un point de vue pratique, je crois que l'exercice s'est bien passé. Trois étudiantes ont ensuite tapé leurs textes à l'ordinateur et me les ont envoyés, donc je les ai mis sur notre plate-forme en ligne. Dans les semaines à venir j'aimerais bien créer une plus large banque de textes, mais ça me paraît assez illusoire d'en espérer beaucoup...

La prochaine fois, il sera question de style, en particulier d'oralité et de sonorités.

2 commentaires:

  1. encore merci pour la richesse de ces explications et exercices. On s'y croirait et on en ressort plus éclairé

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  2. C'est très intéressant mais puisque, lorsqu'on parle de la "voix d'un texte" ou de la "voix d'un auteur" perceptible dans ses écrits, on est nécessairement dans la métaphore, j'aurais commencé par un exercice de caractérisation mutuelle des "vraies" voix de vos élèves. Comment se reconnaissent-elles au seul son de leur voix ? Pourquoi la voix est-elle la vraie signature d'un être humain, peut-être plus qu'une empreinte digitale voire l'ADN ? Au point que des années plus tard, on peut identifier immédiatement une voix au téléphone, qui semble n'avoir pas vieilli. Timbre, hauteur, vélocité, "grain", etc. Et transposer après toutes ces données physio-acoustiques au texte. Y a-t-il des textes "haut perchés", des textes "graves", etc. Je vais vous envoyer aussi les travaux pratiques d'une amie, Clara Laurent, sur la voix humaine (petites interviews, pas utilisables pour vos cours, c'est en français).

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