mercredi 24 août 2016

Jour de sortie!

Et voilà, on y est, aujourd'hui 24 août, Songe à la douceur est en librairies!


Comme toujours, ce sera une journée un peu étrange, vu que je suis toute seule chez moi en Angleterre, que le livre ne sera nulle part ici, et que ni mes ami/es ni mes collègues angliches ne sont au courant. Donc pas de célébration, juste des préparations de cours et des corrections de thèse de master (t'as les larmes aux yeux là j'espère).

Mais pas grave, car j'ai déjà vu apparaître, de-ci, de-là, de fil Facebook en billet de blog, des photos du livre un peu partout, chez ceux et celles qui ont pu l'avoir à l'avance - et je dois dire que j'admire le talent photographique de ces baroudeurs...

Philippe Arnaud depuis l'Amérique...
Théo Uhart depuis sa chaise longue...
et Nathan Lévêque, qui a posé Songe à la douceur exactement où il devrait être, c'est-à-dire sur un pont parisien...

Et puis Songe à la douceur est déjà là, en ligne et sur papier, à travers des chroniques déjà nombreuses. Bon, pour être honnête, je m'en protège férocement, car oui, je te confirme que je suis en effet stressée, oui oui, il y a la pression, t'as raison, c'est marrant que tu me poses cette question!

Cependant, je suis éblouie de voir (à travers les interstices entre mes doigts posés sur mes yeux), dans les chroniques qui me parviennent, tant de détails, de commentaires et de remarques qui me font penser mais oui, c'est exactement ce que je voulais dire... et même si, en bonne prof, je m'empresse de préciser que ça n'a aucune importance ce que je voulais dire (#mortdelauteur #loveyoubarthes #wimsattbeardsley), c'est quand même une gigantesque joie (et aussi toujours une bizarrerie totale) de se savoir si attentivement lue, de constater des résonances, des connexions, entre 'nous', à travers le livre. 

J'ai répertorié les chroniques qui me sont parvenues ici, sur la page du livre sur mon site. J'espère que vous en trouverez une qui vous incitera à essayer le livre, parce qu'il y a de tout là-dedans, des chroniques écrites par des très jeunes adultes et des ados, d'autres par des adultes, euh... confirmés (ça va, je vexe personne?); des chroniques à fleur de peau, d'autres ultra-argumentées; des chroniques de ceux qui ont lu 'l'original', d'autres non; des gens qui ne lisent jamais ce genre de livre normalement, et même certaines qui ont réagi en vers...

Et puis d'autres qui sont totalement barrés, comme Simon Roguet, de la librairie M'Lire à Laval:



Dans la presse aussi, Songe à la douceur a eu droit à une double page dans Page des Libraires, grâce à Gwendal Oulès,


et puis dans Philosophie Magazine, grâce à Alexandre Lacroix; là il faut quand même que je signale que je n'ai pas encore reçu mon exemplaire, il arrive toujours plus tard en Angleterre (merci Gilles pour la photo!), mais j'arrive à peine à me représenter ce qui se passera quand je verrai pour de vrai mon livre à l'intérieur de ce magazine que je lis rituellement et obsessionnellement depuis tant d'années:

Que dire d'autre dans ce billet déjà honteusement trop autopromotionnel? (promis, on revient aux billets normaux bientôt). Vous voulez savoir l'histoire? Les grandes lignes en sont racontées dans presque toutes les chroniques, et j'en avais parlé ici, et c'est aussi sur mon site.

Pour le redire vite: c'est une histoire d'amour qui fait le grand écart entre dix ans: la première fois c'est un amour adolescent, la deuxième fois c'est un amour jeune adulte. C'est en vers. C'est inspiré d'Eugène Onéguine. Pour le reste, vous verrez bien...

Ca commence comment? Comme ça!

Ne me reste plus donc qu'à souhaiter à Eugène et Tatiana de tomber entre vos mains si ça vous chante - et à espérer qu'en effet, ils réussissent à vous chanter quelque chose.

lundi 22 août 2016

Les amitiés féminines en littérature jeunesse

Je viens de finir les deux premiers livres de la saga napolitaine d'Elena Ferrante, L'amie prodigieuse et Le nouveau nom, qui m'avaient été recommandés par un très grand nombre de personnes. Je n'ai pas été aussi passionnément enthousiasmée que d'autres, mais j'ai quand même beaucoup apprécié cette fresque historique et je suis heureuse qu'elle ait trouvé un lectorat international.


Un détail cependant qui m'interpelle, c'est le nombre de gens qui m'ont 'vendu' la saga en me disant 'Je n'ai jamais vu d'amitiés féminines aussi bien décrites en littérature'. C'est un argument que l'on retrouve d'ailleurs dans les nombreuses chroniques du livre que j'ai pu voir. Notamment, l'une des personnes qui me l'a recommandée a dit avoir trouvé extrêmement original le tout début du premier tome, où l'amitié entre les deux petites filles est longuement décrite, avec ses tourments et ses plaisirs.

Extrêmement original? En littérature générale, peut-être. En littérature jeunesse, pour enfants et pour ados, les amitiés féminines, ça fait un bail qu'on est sur le sujet.

Attention: je ne voudrais pas exagérer le phénomène; il est absolument évident qu'on n'a pas assez de personnages principaux féminins en littérature jeunesse (comme en générale); qu'on manque de portraits forts et nuancés de fillettes et de jeunes filles, et de leurs relations, notamment amicales; qu'on souffre d'une surabondance de personnages féminins caricaturaux, de jolies crétines et de moches mesdemoiselles-je-sais-tout, etc.

et d'une gigantesque quantité de livres où on a un seul personnage féminin intelligent, qui n'est donc amie qu'avec des garçons; puisqu'elle est intelligente, elle a le droit
oui oui, toi aussi, Pullman. J't'aime quand même, va.
 
Mais on a aussi depuis longtemps d'excellents livres qui dépeignent avec nuance et ambiguïté les relations amicales entre (très) jeunes filles. Il y a chez Ferrante des descriptions vraiment fortes et bien vues des amitiés-amoureuses, entre haine, jalousie, admiration et adoration - mais de nombreux/ses auteur/es jeunesse ont aussi beaucoup montré à quel point ces amitiés féminines, en particulier chez les jeunes filles, pouvaient être complexes, destructrices, extatiques et dévorantes.

Le personnage de Lila m'en a rappelé beaucoup d'autres - pas en 'littérature générale' (alias, en littérature vieillesse) - mais en littérature jeunesse. Ce n'est pas pour dénigrer Ferrante que je dis cela, évidemment, et je ne suis pas du tout en train de dire que la saga napolitaine est une saga 'pour enfants' (ou ados). Mais pour ce qui est de la description de l'amitié, elle rejoint en bien des endroits une réflexion qui existe déjà en LJ.

Ce n'est sans doute pas une coïncidence quand on considère qu'une majorité d'auteurs jeunesse sont des auteures (non pas qu'on ne puisse pas écrire des amitiés féminines en étant un homme), et que nombre d'auteur/es jeunesse sont en contact quasi-quotidien avec ces jeunes amitiés, à travers enseignement, messages de jeunes lectrices, et rencontres scolaires.

Je citerai quelques exemples qui me sont venus à l'esprit en lisant Elena Ferrante; donc une liste totalement personnelle de livres jeunesse qui selon moi proposent des représentations d'amitiés féminines, soit entre toutes petites filles, soit entre plus jeunes filles, équivalentes en intérêt et en nuance:

 
Mon amitié avec Tulipe, d'Anne Fine, un roman cultissime sur une amie... prodigieuse, en cela qu'elle est hypnotisante, capricieuse, imprévisible, dévastatrice. Le roman va extrêmement loin dans sa représentation de l'amitié entre jeunes filles, ses aspects érotiques, sournois et brutaux. Avec en sous-texte l'importance de la réputation, pas seulement au sens simple du gossip qu'on attribue si souvent à tort aux jeunes filles comme étant l'essence de leurs vies (!), mais au sens plus large de ce qui nous suit dans notre existence, s'accroche à nous, parfois injustement, et se retrouve dans le regard des autres.  
 
On pourrait citer tout Jacqueline Wilson, mais Une amie d'enfer m'a toujours frappée comme étant l'un de ses textes les plus intéressants dans sa représentation d'amitiés entre filles. Au départ, c'est une histoire toute simple d'opposés qui s'attirent: la jolie rebelle, kleptomane et instable Tanya, et la chouchoute des profs mal dans sa peau Mandy. Mais il y a beaucoup de choses qui compliquent et nuancent cette relation, dont l'influence du traumatisme subi par Tanya, des sentiments d'abandon et de jalousie qui passent fluidement de l'une à l'autre alors que tour à tour elles s'envient mutuellement, se punissent l'une l'autre, se réconcilient, etc. 

 
Je ne sais pas combien de fois j'ai parlé sur ce blog de Quatre filles et quatre garçons, de Florence Hinckel, mais il bien faut en reparler! Alors que les deux livres ci-dessus se focalisent (comme ceux d'Elena Ferrante d'ailleurs) sur un seul 'couple amical', quatre filles et quatre garçons, ça fait un bon tas de combinaisons possibles... et dont de très nombreuses sont réalisées. C'est vraiment un roman exceptionnel dans ce qu'il représente, avec énormément de générosité et de nuance, des mille et une manières dont les adolescents peuvent 'être ensemble' à quinze ans. 


Avec Dysfonctionnelle, d'Axl Cendres, on a une amitié-amoureuse qui évolue, s'adapte, se modifie, se complexifie, et qui doit se heurter - comme d'ailleurs dans la saga napolitaine - à des différences sociales particulièrement bien observées et dont les frustrations et les difficultés sont magistralement représentées. 

J'ai aussi pensé à Tête de melon, un roman de Mary Downing Hahn que j'ai relu mille fois étant petite, qui m'a tout l'air d'être épuisé maintenant - mais qui décrivait aussi avec énormément de pertinence les relations entre une jeune fille 'cassée' par une mère déserteuse, et une autre venue d'une famille très chrétienne.

Avec ce livre comme avec certains de ceux du dessus, c'est important d'insister sur le fait que ce sont des romans presque entièrement psychologiques; 'il ne se passe rien de spécial' à part l'amitié entre ces deux filles, et on a donc énormément de place pour la raconter et y réfléchir - c'est l'objet central du livre. 

Je trouve cela intéressant de constater à quel point ces livres jeunesse ne font pas que représenter ces amitiés, ils y pensent, ils théorisent l'amitié; les personnages féminins sont très souvent dans l'introspection et l'analyse. On peut d'ailleurs leur reprocher cette psychologisation et ce manque d'action, qui peut donner l'impression que les personnages féminins n'existent que par leurs états d'âme et leur langage. Mais ces récits, si l'on s'intéresse à leur portée éducative, fournissent des clefs extrêmement précieuses aux jeunes filles qui sont en train d'apprendre à naviguer ces relations complexes dans la réalité. Et si l'on s'intéresse à leurs aspects esthétiques, ils encodent de manière souvent belle et subtile des faits psychologiques complexes. 

Il ne faudrait pas non plus oublier les classiques, comme Les Quatre Filles du Docteur March (d'ailleurs abondamment cité chez Ferrante), Claudine à l'Ecole/ Claudine à Paris, voire même Les petites filles modèles, qui pour son époque est remarquablement lucide sur les relations entre fillettes. J'ai aussi exclu les récits de relations sororales en littérature jeunesse: Apple and Rain ou One de Sarah Crossan, A nous deux de Jaqueline Wilson (encore), Deux pour une d'Erich Kastner, je suis sûre que j'en oublie des tas d'importants. Je n'ai pas non plus inclus, mais j'aurais pu, le Journal de Georgia Nicholson de Louise Rennison, et les très nombreuses variations plus 'girly' ou humoristiques sur le thème de l'amitié entre filles - du Club des baby-sitters à Quatre filles et un jean - qui, si on prend la peine de s'y pencher, ne se résument pas à l'échange de conseils maquillage.


Je soupçonne également qu'il doit exister en littérature 'vieillesse' de très nombreux autres portraits d'amitiés féminines extrêmement intéressants - mais je me demande s'ils ne seraient pas en littérature de genre - romans historiques et romances, en particulier? ce ne sont pas des genres que je lis souvent, mais je serais curieuse de savoir si les lecteurs/trices de Ferrante qui sont aussi des consommateurs/trices de littérature de genre ont trouvé que Lila et Lenù leurs rappelaient d'autres héroïnes. 

Encore une fois, le but de cet article n'est pas du tout de minimiser la qualité des deux premiers livres de la saga de Ferrante, mais simplement de faire remarquer que certaines relations, personnages ou intrigues qui nous semblent invisibles en litté générale ont parfois été développées depuis longtemps dans d'autres littératures. Personnellement, j'ai des souvenirs très forts à la fois de mes amitiés féminines enfantines et adolescentes, et des très nombreuses lectures enfant/ado sur le sujet qui ont accompagné mon expérience de ces relations si particulières.

jeudi 11 août 2016

Madeleines au creux de la main



Hier matin, en allant au travail, j’aperçois sur le trottoir un ver de terre qui avait dû tomber d’un camion, d’une brouette, voire d’un bec d’oiseau, car il était à douze années-lombrics de toute surface adaptée à sa molle constitution. Prise d’une grande compassion pour le pauvre animal (dit la fille qui trimbale en même temps dans son sac sa lunch box du jour avec un filet de saumon à l’intérieur), je me baisse et le ramasse, avec dans l’idée de le déposer dans un potager urbain qui se trouve sur mon chemin, à quelques rues de là.
 
le potager
Mais alors que je m’approche dudit potager, télescopage temporel: le ver de terre se tortille dans ma paume, et en moins d’une seconde de ce chatouillis entre ligne de vie et ligne de chance, je perds vingt ans. Une vraie madeleine tactile, cette sensation si simple, mais si singulière, d’une torsion de ver de terre. Pour ceux qui, comme moi, haïssent profondément le jardinage, ça remonte à loin, l’époque où on entassait quatorze ou quinze de ces gluants petits tuyaux dans nos mains pour les sentir grouiller.

Alors donc, devant les murs médiévaux de ma cité viking, à huit heures du matin, entre un pub et un restaurant indien, une tête visqueuse (ou une queue? sorry, ver de terre, je suis pas sûre, le prends pas mal) vient déloger du creux de ma main, qui les avait égoïstement emprisonnés, toute une innombrabilité d’après-midis passés, à genoux, à extirper des lombrics du sol entre oseille et groseilles. 

 
pas évident-évident, t'admettras
Ce n’est pas la première fois que ça m’arrive; récemment, un autre agent proustesque en mission transtemporelle m’est atterri entre les mains: une VHS. Evidemment, ce n’est pas comme si je n’avais pas vu de VHS depuis les années 90, mais je n’en avais pas touché depuis longtemps. Mes mains avaient eu largement le temps de remplacer par d’autres sensations habituelles, désormais plus utiles, le souvenir tactile de ce pavé, avec cette lourdeur et cette densité bizarrement réparties, ces orifices crantés, cette fine languette sur le côté

En reprenant par hasard une VHS en main, c’est comme si l’enregistrement d’origine remontait à la surface, se frayant un chemin entre d’autres sensations perdues - la petite roulette de l’iPod mini, la rondeur caoutchouteuse du Nokia 3410, la froideur glissante de l’iPod touch. Il ramène avec lui le déglutissement métallique du magnétoscope, l’odeur laiteuse d’un bol de Chocapic, et l’agacement d’avoir encore des exercices de géo à faire avant demain.

Puisque donc je suis en mode ‘vieux con’ aujourd’hui, je proclame qu’il faudrait un loto du toucher comme on a un loto des odeurs - on nous banderait les yeux et on nous mettrait dans la main une pile de Pogs, du Gak, une carte Orange, une pièce de deux francs, un mange-lacets (je parle évidemment ici au nom des bébés des années 90 - si tu me donnes un plumier, ça va pas fonctionner). Ou juste des choses qu’on n’a pas empoignées depuis très longtemps: une souris à Tipp-Exx, une Cracotte au chocolat, le fermoir d’une botte de ski, un cadran de cabine téléphonique, un petit parapluie à cocktail.

Evidemment, il faudrait que l’orchestrateur de ce loto tactile nostalgico-narcissique soit quelqu’un qui nous connaisse très bien, et qui ait de préférence grandi avec nous: soeur ou frère, cousin ou cousine, ami/e d’enfance.

Mais comme on aurait grandi, contrairement à cette batterie d’objets divers, j’ai peu d’espoir qu’on puisse réveiller de la même manière la vraie sensation de quand on se donnait la main tous les deux. C’est osseux, une main, ces jours-ci.

lundi 1 août 2016

Onéguineries

La sortie de Songe à la douceur, le 24 août prochain, s’approche gentiment, et on me pose parfois des questions quant à Eugène Onéguine, à la fois le roman de Pouchkine et l’opéra de Tchaïkovski, dont Songe est (très librement) inspiré.

Je suis évidemment extrêmement heureuse et fière d'apprendre que certain/es des premièr/es lecteurs-trices de Songe à la douceur ont ensuite acheté le roman de Pouchkine; ou, comme dans le cas de cette chronique par Moka, l’ont acheté et lu avant de lire Songe à la douceur. Cependant, je précise quand même qu'il n’y a aucun ‘besoin’ de connaître les deux oeuvres ‘originales’ pour lire Songe à la douceur, qui n'en est pas une adaptation stricte. (Par contre, il existe un besoin existentiel profond, sans doute...) 

Cela étant dit, voici quelques suggestions à ceux et celles qui souhaiteraient savoir, en particulier, par quoi commencer, comment s'approcher de ces deux oeuvres, dont il existe de nombreuses versions.

Je tiens à dire d'emblée que je n’ai aucune légitimité sur ce sujet d’un point de vue intellectuel ou universitaire - je ne suis pas du tout spécialiste de la littérature russe, ni de musique classique. Je ne vais donc parler d'Eugène Onéguine qu'en tant que groupie!

Le roman

Le roman de Pouchkine, Eugène Onéguine, est disponible dans un grand nombre de traductions. En français, le choix le plus évident est de le lire dans la traduction récente d’André Markowicz, chez Actes Sud.


Je vous conseille aussi fortement (très, très fortement) un épisode génial (issime) des Nouveaux Chemins de la Connaissance, où André Markowicz et Adèle Van Reeth parlent de Pouchkine et de la traduction d'Eugène Onéguine. C’est véritablement passionnant comme conversation, et c'est aussi une introduction merveilleuse au roman et sa place dans la culture russe.

On me demande parfois s'il faut mieux le lire en français ou en anglais. Je l’ai lu dans pas mal de versions dans les deux langues, et je suis assez flexible. Je trouve que toutes celles que j'ai lues ont quelque chose à apporter - qu’elles soient, d'ailleurs, en vers, en vers libres ou réguliers, ou en prose. L'anglais a l'avantage intéressant d'être proche du russe en terme d'accentuation - donc les traducteurs peuvent rendre, notamment, l'alternance originale complexe de rimes masculines et féminines, c'est-à-dire accentuées ou non-accentuées. Cependant, on se retrouve vite avec le même genre de rimes féminines (en 'tion' et 'ing', en particulier).

Pour ceux qui sont lisent un peu le russe, je conseille cette édition anglophone du texte russe, qui n’est pas bilingue (donc empêche de céder à la facilité), mais propose des notes et définitions à la fin du livre pour les mots difficiles de chaque strophe (bon, si t'es comme moi, après avoir lu les notes, il te restera encore 404025 mots difficiles à chercher):

oui, ceci est un plaid Ikea qui devait être en vogue en 1992.

L’opéra


Eugène Onéguine est l’un des opéras les plus souvent représentés au monde (Operabase le place en 14e position en 2014-2015). J’ai pu l'attraper trois fois en live en quelques années. Si vous n’êtes pas loin d’une grande ville avec un opéra, il est très probable que vous puissiez le voir bientôt.

La version audio que j'ai est celle-ci:

De toute façon, l’opéra est disponible dans énormément de mises en scène sur YouTube, certaines vidéos de l'opéra en entier, certaines de fragments. Tapez 'Eugene Onegin' car l'orthographe anglaise donnera davantage de résultats que la française (oui, One Gin. I know. Hilarious.). La qualité du son sur YouTube est ce qu'elle est; il faut négocier avec ses oreilles pour faire plaisir à ses yeux (#modernlife).

Bonne nouvelle! L'opéra a un certain nombre de tubes, donc si ça te saoule de te taper tout le truc, entre les mots-clefs suivants pour voir directement trente mille versions de ces bouts-là:
  • La lettre de Tatiana (Tatyana/ Tatiana's letter scene), où il y a généralement une variation sur le thème lit-lettre-plume-soprano-sexy-se-roulant-dans-des-draps.
classique

mate un peu la taille du lit 

encore un lit géant
+ du décolleté pigeonnant et un ordinateur portable.
  • L'aria d'Eugène (Eugene's aria/ Onegin's aria). Le moment où Eugène fout un râteau à Tatiana big time. 
avé les sous-titres en français

sans les sous-titres, mais il fait semblant de manger une pomme

 j'aime beaucoup celle-ci (et la version complète d'ailleurs) (1:12)
  • L'aria de Lensky (Lensky's aria) (le fameux Kuda, kuda! L'un des plus beaux et célèbres arias du répertoire.)

Et le final! Oh, le final! Mais je vais pas te le donner, ça me spoilerait mon bouquin (peut-être...). T'as qu'à le chercher avec tes petits doigts.

Ah oui, il y a aussi l'incontournable (et très désuet) film de Weigl des années 80s:


Si t'en as marre des vidéos toutes moches, tu peux acheter le DVD d’une mise en scène de Robert Carsen avec Dmitri Hvorostovsky et Renée Fleming. Personnellement, je trouve que c’est une version un peu trop dépouillée. Il y a une version DVD aussi d'une mise en scène de Kasper Holten que je trouve assez chouette et bizarre, mais sans Dmitri (voir below). Une autre encore de Deborah Warner, dont je n'ai vu que des extraits, avec Anna Netrebko.

Qui est le meilleur Eugène?

Cette question n’a pour moi qu’une seule réponse possible, c’est évidemment Dmitri Hvorostovsky, superstar sibérienne à la crinière blanche qui l’a joué des centaines de fois. Il est partout sur les versions YouTube, comme vous vous en apercevrez après 5 minutes de recherche.

Je me suis pâmée devant le bonhomme en live au Royal Opera House en janvier dernier. J'ai d'ailleurs déniché une hilarante vidéo pirate de l'aria d'Eugène, tournée en loucedé par un véritable artiste de l'iphone littéralement le soir où j'y étais (sauf que j'avais une meilleure place, parce que j'avais pulvérisé ma tirelire). Attention, c'est plein de gens qui toussent derrière et de zooms audacieux:


(et NON, je n'étais PAS d'accord avec le bisou final, mais alors PAS DU TOUT.)

Bon, il y a d'autres Eugène très bien, évidemment. Pour moi, la règle numéro un, c’est que si je ne tombe pas amoureuse, tout le spectacle est raté. J’ai vu des mises en scène d’Onéguine avec des chanteurs moches ou peu charismatiques, et même s’ils chantent génialement, ça ne prend pas. C’est comme Don Giovanni, il faut pouvoir y croire. Hvorostovsky, même si au départ t’es pas fan de la coupe de cheveux, après trois minutes, tu verras, tu ne voudras faire qu’une chose, lui écrire une lettre passionnée au milieu de la nuit.

Cerise sur le gâteau, l’année prochaine le Metropolitan Opera de New York monte Eugène Onéguine avec Dmitri Hvorostovsky et Anna Netrebko, et il sera diffusé en direct dans de nombreux cinémas à travers le monde (dont mon cinéma à York, que j’aime d’amour car il diffuse des tas d’opéras). Il faut absolument y aller. 

Le film
Pas vu! Pourtant je séquestre depuis presque 1 an et demi le DVD prêté par des potes (sorry, D.&J.!), mais je ne voulais pas être influencée pendant l'écriture de Songe à la douceur donc je ne l'ai pas regardé. Et depuis, je sais pas, j'ai peut-être un peu peur de m'y plonger.

Faut-il commencer par l'opéra ou le roman?

Malgré les titres identiques, ce sont deux oeuvres vraiment distinctes qui, pour moi, peuvent se rencontrer dans un ordre comme dans l'autre. D'ailleurs, on peut en aimer une et pas l'autre. J'ai rencontré un certain nombre de fans (pardon, d'érudits passionnés) du 'vrai' Onéguine qui sont très dédaigneux envers l'opéra, qu'ils accusent de sentimentalisme, de trahir le cynisme de Pouchkine, de 'n'en faire qu'une histoire d'amour', etc.

(En général, ça s'assortit de la critique typique, d'une gigantesque banalité à mourir de bâillements, des Vrais Amateurs de Musique Classique Que Tu Sais Qu'ils Aiment Vraiment la Musique Classique Et Pas Toi, c'est-à-dire que 'l'opéra, toute façon, c'est un genre inférieur, c'est de la comédie musicale pour midinettes'.)

Comme vous le savez, je n'ai aucune patience pour ce genre de snobisme (voir ce billet), mais ici il a le mérite de montrer ici que les deux oeuvres sont de style et d'esprit très différents. Et donc, qu'il faut essayer les deux.

Voilà, j’espère que ça défriche un peu le terrain. A bientôt pour d'autres nouvelles de Songe...