jeudi 26 juillet 2012

Et ce n'est point ainsi que parle la nature: L'art du dialogue, 1/2


Le dialogue est la stratégie narrative la plus fréquente en littérature jeunesse. Peut-être à tort, on estime que les humains format XS n’ont pas envie de se taper des descriptions et des monologues intérieurs. On trouve donc souvent, condensés dans les dialogues, les éléments d’exposition de l’intrigue, son évolution, la caractérisation des personnages, leur ressenti, le développement de leurs relations, etc.

Ego, qua Penseur.
Quand au gré de mes divagations j’adopte la position du Penseur pour réfléchir à mon Art, et que je m’interroge particulièrement sur l’Art du Dialogue en Littérature Jeunesse, je repense à la scène mythique du Misanthrope où Alceste démolit le sonnet d’un écrivain avec ces vers d’une délicieuse ironie :


Ce style figuré, dont on fait vanité,
Sort du bon caractère et de la vérité :
Ce n’est que jeu de mots, qu’affectation pure,
Et ce n’est point ainsi que parle la nature.

Délicieusement ironique, évidemment, parce que ‘la nature’ est aussi absente de cette pièce que d’un pot de yaourt s’en réclamant. Du moins, il reste à prouver que tous les quidams de l’époque se baladaient en se lançant des alexandrins parfaitement césurés en rimes riches (sans oublier, évidemment, la diérèse nécessaire pour qu’‘affectation’ ne rende pas le dernier vers piteusement boiteux).

Retraduisons Molière en ‘la nature’, version 2012 :

Tain mais ce style, là, t’sais, genre « je me la pète », ben ça sonne trop faux, c’est chelou, quoi, c’est trop pas naturel, ‘fin, personne parle comme ça, tu vois c’que j’veux dire ?

En interposant l’assentiment nécessaire de l’interlocuteur, qui, dans la ‘nature’, ponctue toutes les phrases :

Tain mais ce style, là, [hmm] t’sais, genre « je me la pète », [ouiii ! relou ça] ben ça sonne trop faux, c’est chelou, quoi, [carrément, ouais-ouais] c’est trop pas naturel, [ah non ça ! tain !] ‘fin, personne parle comme ça, [pff, c’est clair] tu vois c’que j’veux dire ? [mais trop !]

Je sais pas vous, mais si tous les livres étaient écrits comme ça, je pétitionnerais pour un grand et bel autodafé. D’ailleurs, certains livres sont plus ou moins écrits comme ça, et je les esquive comme si ma vie en dépendait telle le Faucon Millennium dans un champ d’astéroïdes.

Tout ça pour dire que les dialogues ‘qui sonnent vrai’ ne sonnent jamais réel, et tant mieux, par ce qu’ils seraient douloureusement rébarbatifs. Le réel c’est moche, le vrai c’est beau. L’éternelle question est donc : que veut-on dire lorsque l’on dit qu’un dialogue ‘sonne vrai’ ? Vous avez 4 heures.

Je pense que quand on dit qu’un dialogue ‘sonne vrai’, ça veut dire qu’il sonne comme on s’attendrait à ce qu’il sonne dans le contexte créé par un pacte fictionnel particulier. En moins jargonneux, c’est le texte, et non pas une ‘nature’ externe et mystique, qui définit lui-même les paramètres du ‘naturel’ de ses dialogues. Le discours d’Alceste ‘sonne vrai’ parce que le texte l’a construit comme plus ‘naturel’ que les élucubrations précieuses de l’autre personnage.

Et parce que le dialogue est encadré par un pacte fictionnel qui enclenche certaines attentes chez le lecteur, son ‘naturel’ repose sur des conventions absolument artificielles. On peut faire la comparaison avec les bruitages d’un film – le rôle du bruiteur est de reconstruire le bruit d’une porte qui claque, d’un pas dans l’escalier, d’un pot de confiture qui s’ouvre, et il le fait souvent avec des objets qui n’ont absolument rien à voir. Le bruitage est strictement artificiel, mais il répond à une attente du spectateur/auditeur, cultivée par des années de familiarité avec le pacte fictionnel propre au cinéma. Le bruit ‘naturel’ d’une porte qui claque semblerait à ce spectateur/auditeur complètement faux.

L’auteur doit donc construire un dialogue où rien n’est réel mais où tout est vrai, c’est-à-dire où il y a cohérence entre dialogue et pacte fictionnel, et non pas entre dialogue et ‘réalité’ extérieure au texte.  C’est pourquoi des dialogues avec des passés simples, des imparfaits du subjonctif et des inversions sujet-verbe dans les questions ne choquent pas si tout cela sonne vrai, c’est-à-dire correspond aux paramètres construits par le texte.

Mais tout se complique quand on parle de littérature jeunesse, car là, plus qu’en littérature ‘adulte’, il est peut-être nécessaire de s’intéresser quand même un peu à la ‘réalité’…

La suite au prochain numéro !

(T’as vu le cliffhanger de ouf.)

1 commentaire: