dimanche 29 juillet 2012

‘Sophie et Paul parlent comme des adultes !’ : L’art du dialogue 2/2


(NB. Tu vas rien comprendre si tu lis pas la première partie qui est là !)

Commençons cette seconde partie sur l’Art du Dialogue en Littérature Jeunesse en nous gaussant d’une critique des Malheurs de Sophie pêchée sur internet :

Plus du tout d'actualité
Bon, il faut admettre d'emblée que Les malheurs de Sophie ne sont plus vraiment d'actualité pour les jeunes d'aujourd'hui. À mon avis, si l'on voulait les lire aux enfants, l'écriture devrait être révisée, car je pense bien que le niveau de langage est trop élevé pour les jeunes enfants. Sophie et Paul parlent comme des adultes, et comme des adultes du XIXe siècle qui plus est ! Sophie a quatre ans et Paul, six. Avouez que ce n'est pas très réaliste ! Cela n'a pas manqué de m'agacer tout au long de ma lecture de l'oeuvre de la Comtesse de Ségur.

Ca y est, vous avez essuyé vos larmes de rire ? Bon. N’empêche qu’ilouelle a raison : Sophie et Paul ne dialoguent pas comme vos petits Léa et Enzo. Est-ce un problème ? C’est à voir. Ca n’a jamais été un problème pour mini-Clémentine version 6 ans, mais sans vouloir me la péter, j’étais une Wunderkind de la lecture, avec les résultats qu’on sait, c’est-à-dire une surdiplômisation dans une filière sans débouché avec zéro perspective de salaire convenable. Mais je m’égare.

Faut-il, en littérature jeunesse, que les dialogues soient ‘plus’ réalistes qu’en littérature adulte pour faire 'vrai' ? Notez que je dis réalistes, pas réels, car :

Dialogue ‘réel’ entre Léollyanna*, 4 ans, et son père :
Papa : Alors ma puce, tu as fait quoi aujourd’hui ?
Léollyanna : Ben, Augustin, il avait oublié ses crayons ! et après la maîtresse elle a dit… la maîtresse elle était venue, et… Mais aussi tu sais la balançoire elle était cassée ! Et et et et Justine après elle a dit « hého ! toi ! tu t’pousses ! » Et aussi… [intérêt pour la conversation subitement perdu, recentrement de l’attention sur un affreux shi-tzu en laisse]
  
Dialogue ‘réaliste’ entre Léollyanna, 4 ans, et son père :
Papa : Alors ma puce, tu as fait quoi aujourd’hui ?
Léollyanna : J’ai fait des coloriages avec Augustin, et ensuite la maîtresse nous a donné des images. A la cantine on a mangé des kiwis, et après on a joué au ballon prisonnier.

Donc dans le premier cas, on a un truc qui sonne comme s’il avait été écrit sous LSD, et dans le second cas, un truc fabuleusement ennuyeux parce que j’ai eu la flemme de faire intéressant, mais plus ou moins cohérent, qui ignore le fait qu’un humanoïde de cet âge-là a du mal à narrativiser de cette manière, mais conserve le vocabulaire et le niveau de langue qu’on pourrait attendre de lui dans la réalité.

Le texte, en littérature jeunesse, ne peut pas, peut-être, paramétrer entièrement la ‘véracité’ des dialogues. Un degré de réalisme, d’effet de réel, resterait donc nécessaire. J’emploie le conditionnel parce que je ne suis pas à 100% sûre que c’est le cas. Mais c’est l’hypothèse que je fais en ce moment : le dialogue « vrai » en littérature jeunesse ne peut se concevoir sans un fort effet de réel. Au contraire, dans un bouquin comme Ada, de Nabokov, le texte est configuré pour qu’on accepte parfaitement – pour qu’on se délecte, même – des dialogues complètement irréalistes entre les enfants prodiges Ada et Van. Construction et convention plutôt qu’ « essence » du texte pour enfants, c’est certain, mais qui mène à une définition instinctive très  différente de ce qu’est un dialogue qui « sonne vrai ».

C'est pour cela peut-être qu'il est aussi difficile pour un écrivain de livres pour 'adultes' de subitement se mettre à écrire pour les enfants. En général, ça ne marche pas terrible, parce qu'ils restent dans l'état d'esprit du texte qui configure les dialogues. Et qu'ils sont souvent détachés de la 'réalité' du parler-gamin, puisque leurs autres textes nécessitent moins d'effet de réel.

Parce que même s'il est possible de s'en émanciper un peu, difficile d'écrire des dialogues réalistes quand on n'a aucune idée de ce qui se raconte en cour de récré. Cette question a été particulièrement importante pour moi lors de l’écriture de La pouilleuse, qui est un roman censé être réaliste, actuel, et centré sur un groupe d’ados de 17 ans des beaux quartiers de Paris. Coup de chance, j’en étais une il y a 6 ans. Mais apparemment, c’est déjà trop loin. C’est grâce à ma sœur, qui, elle, a toujours 17 ans, et qui a relu deux fois La pouilleuse malgré sa phobie des poux (!), que des irréalismes dans les dialogues ont été modifiés. Apparemment, personne de cet âge-là ne dirait « On lui donnerait le bon Dieu sans confession ». Moi, à 23 ans, je le dis quarante-huit fois par jour. Comme quoi on change.

Donc pour moi les dialogues en littérature jeunesse reposent souvent sur un réalisme plus ancré à l'extérieur du texte que les dialogues en littérature jeunesse. Encore une fois, je précise que je pense qu'il s'agit davantage d'une convention, d'une attente, que d'une nécessité ontologique du médium. Après tout, personne ne nous dit que l'enfant-lecteur aurait des problèmes à s'attacher aux personnages si c'était, comme en littérature adulte, le texte qui paramétrait surtout les dialogues. Sophie et Paul restent compréhensibles, et les Malheurs reste un livre pour enfants. Peut-être est-on, comme d'habitude, beaucoup trop frileux lorsque l'on s'adresse à un lectorat qu'on estime moins 'sophistiqué'. Je pense que les petits lecteurs n'auraient en réalité aucune difficulté à suivre des dialogues beaucoup plus détachés de la manière dont ils parlent 'vraiment'.

Qu’en pensez-vous ? Comment écrivez-vous vos dialogues ? Racontez-moi tout ça sur le divan des commentaires.

*réalisme ajouté par une invention de prénom, puisqu'il semble que trouver les prénoms de ses gamins en tirant au hasard des lettres de Scrabble fait fureur ces temps-ci.

jeudi 26 juillet 2012

Et ce n'est point ainsi que parle la nature: L'art du dialogue, 1/2


Le dialogue est la stratégie narrative la plus fréquente en littérature jeunesse. Peut-être à tort, on estime que les humains format XS n’ont pas envie de se taper des descriptions et des monologues intérieurs. On trouve donc souvent, condensés dans les dialogues, les éléments d’exposition de l’intrigue, son évolution, la caractérisation des personnages, leur ressenti, le développement de leurs relations, etc.

Ego, qua Penseur.
Quand au gré de mes divagations j’adopte la position du Penseur pour réfléchir à mon Art, et que je m’interroge particulièrement sur l’Art du Dialogue en Littérature Jeunesse, je repense à la scène mythique du Misanthrope où Alceste démolit le sonnet d’un écrivain avec ces vers d’une délicieuse ironie :


Ce style figuré, dont on fait vanité,
Sort du bon caractère et de la vérité :
Ce n’est que jeu de mots, qu’affectation pure,
Et ce n’est point ainsi que parle la nature.

Délicieusement ironique, évidemment, parce que ‘la nature’ est aussi absente de cette pièce que d’un pot de yaourt s’en réclamant. Du moins, il reste à prouver que tous les quidams de l’époque se baladaient en se lançant des alexandrins parfaitement césurés en rimes riches (sans oublier, évidemment, la diérèse nécessaire pour qu’‘affectation’ ne rende pas le dernier vers piteusement boiteux).

Retraduisons Molière en ‘la nature’, version 2012 :

Tain mais ce style, là, t’sais, genre « je me la pète », ben ça sonne trop faux, c’est chelou, quoi, c’est trop pas naturel, ‘fin, personne parle comme ça, tu vois c’que j’veux dire ?

En interposant l’assentiment nécessaire de l’interlocuteur, qui, dans la ‘nature’, ponctue toutes les phrases :

Tain mais ce style, là, [hmm] t’sais, genre « je me la pète », [ouiii ! relou ça] ben ça sonne trop faux, c’est chelou, quoi, [carrément, ouais-ouais] c’est trop pas naturel, [ah non ça ! tain !] ‘fin, personne parle comme ça, [pff, c’est clair] tu vois c’que j’veux dire ? [mais trop !]

Je sais pas vous, mais si tous les livres étaient écrits comme ça, je pétitionnerais pour un grand et bel autodafé. D’ailleurs, certains livres sont plus ou moins écrits comme ça, et je les esquive comme si ma vie en dépendait telle le Faucon Millennium dans un champ d’astéroïdes.

Tout ça pour dire que les dialogues ‘qui sonnent vrai’ ne sonnent jamais réel, et tant mieux, par ce qu’ils seraient douloureusement rébarbatifs. Le réel c’est moche, le vrai c’est beau. L’éternelle question est donc : que veut-on dire lorsque l’on dit qu’un dialogue ‘sonne vrai’ ? Vous avez 4 heures.

Je pense que quand on dit qu’un dialogue ‘sonne vrai’, ça veut dire qu’il sonne comme on s’attendrait à ce qu’il sonne dans le contexte créé par un pacte fictionnel particulier. En moins jargonneux, c’est le texte, et non pas une ‘nature’ externe et mystique, qui définit lui-même les paramètres du ‘naturel’ de ses dialogues. Le discours d’Alceste ‘sonne vrai’ parce que le texte l’a construit comme plus ‘naturel’ que les élucubrations précieuses de l’autre personnage.

Et parce que le dialogue est encadré par un pacte fictionnel qui enclenche certaines attentes chez le lecteur, son ‘naturel’ repose sur des conventions absolument artificielles. On peut faire la comparaison avec les bruitages d’un film – le rôle du bruiteur est de reconstruire le bruit d’une porte qui claque, d’un pas dans l’escalier, d’un pot de confiture qui s’ouvre, et il le fait souvent avec des objets qui n’ont absolument rien à voir. Le bruitage est strictement artificiel, mais il répond à une attente du spectateur/auditeur, cultivée par des années de familiarité avec le pacte fictionnel propre au cinéma. Le bruit ‘naturel’ d’une porte qui claque semblerait à ce spectateur/auditeur complètement faux.

L’auteur doit donc construire un dialogue où rien n’est réel mais où tout est vrai, c’est-à-dire où il y a cohérence entre dialogue et pacte fictionnel, et non pas entre dialogue et ‘réalité’ extérieure au texte.  C’est pourquoi des dialogues avec des passés simples, des imparfaits du subjonctif et des inversions sujet-verbe dans les questions ne choquent pas si tout cela sonne vrai, c’est-à-dire correspond aux paramètres construits par le texte.

Mais tout se complique quand on parle de littérature jeunesse, car là, plus qu’en littérature ‘adulte’, il est peut-être nécessaire de s’intéresser quand même un peu à la ‘réalité’…

La suite au prochain numéro !

(T’as vu le cliffhanger de ouf.)

dimanche 22 juillet 2012

Ciel, mon logiciel!

Une fois n'est pas coutume, et je vous jure que je ne suis pas payée pour faire la pub de ces deux remarquables outils, je vais vous vanter les mérites de deux logiciels qui ont transformé ma vie amoureuse, mon style d'écriture, mon apparence, ma vie de famille, ma libido, mon sens de l'humour, mon talent pour le repassage, et m'ont fait maigrir de dix kilos. A l'extrait d'huile de lumière puisée au coeur des plantes, ces logiciels sont doux pour la peau, protègent l'environnement, et 98,7% des utilisateurs déclarent qu'ils vivent un bonheur parfait depuis qu'ils les utilisent et ne transpirent plus de dessous les aisselles.

Bon, tout n'est pas tout à fait vrai là-dedans, mais il fallait bien attirer votre attention. Voici deux logiciels qui ont, en réalité, transformé ma productivité. Et peut-être que vous n'en avez pas besoin parce que vous êtes du genre qui résistait déjà aux marshmallows à quatre ans et demi, mais moi, avec Facebook, Twitter (@blueclementine, pour ceux qui voudraient suivre), mes 3 adresses email et Google Actualités, j'ai du mal à me concentrer sur mes écritures diverses plus de vingt secondes.

Enfin, j'avais du mal. Mais deux petits téléchargements ont changé ma vie:

The outil de l'écrivain: Scrivener.

Scrivener est un logiciel de traitement de texte créé par un type qui a décidé que Word, en fait, quand on y pense, c'est tout pourri. Ca faisait longtemps qu'on m'en parlait, mais comme je suis du genre bourrue et vieille c****, je me disais 'Oh! ça! moi j'ai pas envie de perdre du temps à apprendre un nouveau truc compliqué, pfiou!' (avec un accent bourguignon ça va encore mieux, je sais pas pourquoi). J'ai donc, pendant 2 ans d'écriture de thèse, ramé avec des dizaines de documents Word inorganisables, à copier-coller jusqu'à dans mes cauchemars, à traumatiser mon ordi de recherches trans-documentales, etc, etc.

Et puis un jour où j'étais d'humeur aventureuse, je me suis dit allez jeune femme, on va cracher $28 pour obtenir ce truc-bidule dont toutes mes potes doctorantes me parlent. Ce furent les $28 les mieux dépensés de ma vie de doctorante et d'auteure.

Voici un petit aperçu d'akoisarsemble:


Et là vous allez hurler AAAH! c'est horrible! veux pas! comprends rien! mais c'est parce que vous êtes un/e vieux/vieille c**/** comme je l'étais moi-même. Je vous promets sur la vie de mon frère* qu'il vous faudra, au pire, deux ou trois jours pour vous y habituer. Ensuite, vous ne comprendrez plus comment vous avez pu un jour galérer avec Word.

Tout le génie de Scrivener, c'est que tout votre projet existe à la fois en petits bouts (chapitres d'un roman, sous-parties/ sous-sous-parties d'une thèse) et en entier, comme document unique. La colonne à la gauche de la capture d'écran montre toute la structure de ma thèse, par exemple, et en cliquant sur l'une des parties on y arrive directement. On peut les faire glisser vers un autre endroit en un clin d'oeil.

Le document central, sur lequel vous écrivez, peut être élargi en plein écran (vraiment vraiment plein écran, c'est-à-dire qu'il n'y a que lui sur votre écran - plus d'icône de Skype qui clignote, plus de notifications Facebook en transparence).

En mode non-plein-écran (comme là) on peut diviser l'éditeur pour avoir un autre document (à droite), qui par exemple contient des notes de recherche. Et enfin, à la toute droite de l'écran, il y a une carte d'index et un 'bloc-notes' associé à chaque document individuel.

C'est du génie. Et encore, sans parler d'autres applications, mais on n'a même pas besoin de tout utiliser, jusqu'à ce qu'on en ait besoin. Le tutoriel est incroyablement bien fait, même pour les astronomiquement nuls de l'ordinateur, et ça fonctionne sur Mac et sur PC. Evidemment, il va sans dire que ça s'exporte bien en .doc, .pdf, etc etc. Ca se télécharge ici, et c'est même pas obligé de payer tout de suite, puisqu'il y a une version d'essai de 30 jours. Dans mon expérience, les gens l'essaient et l'achètent en moyenne deux ou trois jours plus tard. Moi, c'était deux jours.

En fait, Scrivener c'est le traitement de texte qu'on aurait eu depuis le début si Word ne s'était pas dit qu'on avait besoin d'un truc pour écrire seulement linéairement avec quatorze mille options de formatage et de police. Scrivener n'est pas un outil de formatage, mais d'écriture. Tout est fait pour que ce soit aussi intuitif, flexible et productif que possible.

Et voici la deuxième merveille, beaucoup plus simple:

Cold Turkey, le logiciel qui te fait du mal pour te faire du bien

En d'autres termes, qui te coupe ton internet. Et on parle sérieusement, là, ok. Pas moyen de contourner l'obstacle. D'ailleurs, si tu te prends pour un petit hacker et que tu tentes de décoder l'engin, il te punit en te déconnectant pour une semaine. Avis aux sadomasos.

Cold Turkey est absolument gratuit (il existe seulement pour PC, je précise, mais il paraît qu'il y a un équivalent pour Mac qui s'appelle Self-Control), et on peut décider exactement de la durée de déconnexion qu'on veut. On peut aussi décider des sites à déconnecter: il suffit de cocher Facebook et Twitter et de décocher Wikipédia pour pouvoir continuer à faire des recherches en ligne sans vérifier toutes les trois secondes que tes potes n'ont pas publié des nouvelles photos de leurs vacances à Madeire à ton insu.

Je suis venu, j'ai vu, j'ai télécharju, j'ai écrivu 2000 mots en une heure et demie.

Ca se passe ici.

Voilou voilou, je suis bien consciente qu'il y a parmi vous des gens qui se gausseront que nous ayons à télécharger des logiciels pour couper une connexion internet qu'on paie les yeux de la tête, et qu'on ait en plus besoin de tout un tas de bidules pour écrivailler alors que les poètes des tranchées écrivaient sur des bouts de papier avec des obus qui leur sifflaient au-dessus du casque.

Certes.

Mais pour tous ceux qui ne sont pas de tels vieux schnoques, qui ont un petit problème de productivité et qui ont de belles choses à donner au monde au-delà des statuts Facebook, foncez!

* je n'en ai pas, mais si j'en avais un, je le ferais.

dimanche 8 juillet 2012

Les charmes discrets de la recherche google

Quand tu fais tes 'recherches' dans le but d'écrire un livre de fiction - surtout un livre d'aventures un peu barré destiné à des enfants de neuf ans -  tu te retrouves avec un historique de recherches Google joyeusement incongru. D'après le mien, voilà ce que j'ai demandé à notre oracle des temps modernes ces dernières semaines (et oui, je considère que M. Google est une vraie personne quand il s'agit de poser des questions):
  • prendre des empreintes digitales sur du verre
  • quand commence la saison des frelons
  • quel est le nom du truc blanc qui tombe des arbres
  • différences entre cidre et poiré
  • est-ce qu'il faut souvent réparer les gargouilles
  • chevaux qui tombent de la roche de Solutré
  • rythme de sommeil des loirs
  • médicament pour calmer les enfants
  • poids d'une fille de neuf ans normale
  • à quelle heure sont les vêpres
Et enfin une question que j'aurais mieux fait de poser à Bing:
  • est-ce que google a le droit de nous espionner

J'aime bien l'idée que Google compile une image complètement décousue et bizarroïde de ma petite personne au gré de ces recherches inexplicables, mais malheureusement je pense qu'il est plus intelligent que ça et qu'il a capté que je suis une écriveuse.

Une fois de temps en temps, quoi qu'il en soit, tu tapes un truc qui te semble tout à fait anodin et atterris dans un monde souterrain du web aux ramifications insoupçonnées. 

Ce fut le cas récemment, par exemple, lorsque j'entrepris innocemment de faire des recherches sur les gens qui escaladent les bâtiments, surtout à Cambridge et Oxford. Ces gens-là, chers amis, ne sont pas seulement les superhéros modernes et discrets de nos petites villes universitaires; ils ont aussi une communauté underground en ligne et hors ligne, avec ses codes, ses manuels, et son discours spécifique. 

Je me suis retrouvée à acheter cet incroyable petit bouquin, The Night Climbers of Cambridge ('Les escaladeurs nocturnes de Cambridge'). Il a sa propre page sur Wikipédia, et ce n'est que justice. Ecrit dans les années 30 par feu Noel Symington, alias Whipplesnaith, c'est tout simplement un manuel d'escalade des bâtiments cambridgiens. 

Vous y apprendrez comment escalader une gouttière (avec illustrations photographiques) - n'essayez même pas les gouttières carrées, elles sont impossibles à grimper. Vous y apprendrez comment atteindre la cime de la chapelle de King's College (encore une fois avec des photos extraordinaires). Si vous glissez, il vous reste trois secondes à vivre, alors profitez-en. Vous apprendrez comment sauter entre le toit de Gonville & Caius College et la Senate House. C'est très simple, en vérité, mais quelques béjaunes prennent peur alors qu'ils pourraient très bien couvrir une telle distance s'il n'y avait pas quinze mètres de vide en-dessous d'eux!

Ce délicieux petit livre est rédigé à la P.G. Wodehouse et vous transporte presque un siècle en arrière, du temps où tous les Porters de Cambridge portaient des chapeaux melon, où les filles étaient confinées à quelques colleges seulement, et où il était nécessaire d'apprendre l'art de l'escalade quand on ratait l'heure du couvre-feu dans les colleges.

Je ne sais pas quelle sera l'influence de ce livre sur le deuxième Sesame Seade, que je suis en train d'écrire, mais voici quelques exquis passages traduits par mes soins, en tentant de rendre le ton so British qui fait tout leur charme:

'D'autre part, observez ces gouttières dans la Nouvelle Cour de St John's, de l'autre côté de la rivière. Nous n'avons connaissance de personne qui aurait escaladé l'une des gouttières sur le mur nord de la cour en question. Ce sont les gouttières les plus hostiles de Cambridge.'

'Côté nord un contrefort ouvre une alcôve dans laquelle le corps d'un homme se niche plaisamment. La cheminée est trop large pour être confortable, et il se peut qu'il soit impossible pour un homme très petit d'atteindre le mur d'en face, laissant ses pieds pendre piteusement dans l'air comme la luette d'un éléphant.'

'Nous pourrions écrire bien davantage au sujet de Pembroke si nous avions plus de détails. Sa pierre est bonne, les escalades y sont légion, et nous recommandons chaudement à tous les escaladeurs nocturnes d'y rendre quelques visites. Son hospitalité est généreuse et sincère, et il engendre ces Anglais forts et silencieux qui mâchonnent leur pipe dans la jungle de Malaisie mais échouent à leurs examens.'

'Et c'est ainsi qu'après une bonne nuit de travail, nous rentrons chez nous au college ou dans nos résidences, en nous disant qu'après tout, peut-être que nous n'assisterons pas au cours de neuf heures demain matin.'

Cette dernière, naturellement, aurait pu être écrite hier.