vendredi 6 janvier 2012

La paralittérature de la paralittérature

NB 1) Si vous en êtes à vous demander 'La QUOI de la QUOI???', allez faire un tour ici d'abord.

NB 2) J'ai maintenant 23 ans donc mes articles seront désormais immensément plus mûrs que la semaine dernière.

NB 3) Pour une discu plus longue (et en anglais) de la question de la qualité en littérature jeunesse, je vous invite à écouter cet épisode du podcast que je coanime!


Etre chercheur en paralittérature ne veut absolument pas dire qu'on n'est pas un snob. On snobe toujours quelque chose. En l'occurrence, ceux qui étudient sérieusement, je ne sais pas, au hasard, tiens, la littérature jeunesse par exemple, vous diront souvent que c'est un scandale que cette littérature riche, imaginative, expérimentale et formatrice soit si négligée par ces snobinards de chercheurs en Littérature avec un grand L. Mais par contre, ils vous hurleront de rire au nez si vous mentionnez les Monsieur-Madame, Tchoupi, Spot et autres Chair de Poule. Sans parler de Twilight.

C'est qu'il existe aussi une échelle de valeurs en paralittérature, paradoxe extrême puisque c'est une littérature qui se définit justement comme rétive à tout canon. On n'est jamais dans le relativisme total. Ce n'est pas parce qu'on veut promouvoir une littérature anti-canonique, ou une littérature qui trouve en partie sa valeur dans sa fonction ou dans son intérêt socioculturel, qu'on ne peut pas dire que franchement, oui, Spot, c'est quand même tout nul.

Ou plutôt, on ne le dit même pas: simplement, on n'en parle pas, on ne l'étudie pas. Souvent, il y a une sorte d'accord tacite entre chercheurs: les Monsieur-Madame, c'est hors limites. Chair de Poule, à la rigueur, à condition d'en faire une étude sociologique et non littéraire.

Il existe donc dans le milieu universitaire une paralittérature de la paralittérature: on établit peu à peu, parfois inconsciemment, notre propre canon. Ce canon sert à définir nos valeurs et nos mesures de qualité. Il exclut, presque d'emblée, un certain type de livres: le comble, c'est que ce sont généralement des livres 'de genre': les histoires de caca prout/ de petits chats et chiens destinées aux 3-7 ans; les histoires de cheval/de ballerines/ de football/ d'horreur destinées aux 7-10 ans; les histoires d'amûûûr pour ados.

En gros, et ironiquement, on répercute sur notre branche de la littérature les persécutions qu'on nous fait endurer, car la littérature 'de genre' est précisément ce qui est exclu du canon établi par les dégenrés de la Littérature.

Parfois, cependant, on lit des études qui prennent en compte ces laissés-pour-compte, qui comptent d'autant plus qu'ils comptent des centaines de milliers de jeunes lecteurs. Jusqu'aux années 90 on parlait très peu, par exemple, des séries en littérature jeunesse: on considérait ça comme une sous-littérature jeunesse, une littérature sur recette, qui réconforte les lecteurs au lieu de les interpeler. Jusqu'à ce que quelques livres commencent à analyser ce type de littérature autrement: notamment comme l'opportunité pour l'enfant-lecteur d'un apprentissage progressif de la nature et du fonctionnement de la fiction littéraire, d'après l'observation d'une structure narrative, d'une caractérisation des personnages, de thèmes variant subtilement mais ancrés sur un axe fictionnel puissant et cohérent.

Bref, bien qu'étant absolument anti-relativiste en termes de qualité (on peut et on doit juger de la qualité d'une oeuvre de fiction pour enfants, et c'est un des rôles de la critique de la littérature jeunesse), je refuse de me contenter de ces critères pour déclarer qu'il faut ensuite mettre de côté les livres dont on a décrété qu'ils ne remplissaient pas les conditions requises.

La paralittérature commerciale et la paralittérature de genre ont tout autant à nous apprendre sur les raisons pour lesquelles on écrit pour les enfants et ce qu'on leur communique par le biais du livre pour enfants que tous les Madeleine L'Engle et tous les Grégoire Solotareff du monde.

6 commentaires:

  1. Il se fait un peu tard, je me repencherai sur la question à tête reposée ! Cependant ça fait quand même du bien de lire tes textes qui donnent toujours envie d'y réfléchir !

    RépondreSupprimer
  2. C'est très intéressant, et c'est vrai aussi de la littérature "traditionnelle" qu'on étudie à l'université. Ce ne serait pas en lien avec ton autre article sur la norme imposée par les adultes, l'aetonormativité? Parce que ce qu'on considère comme "valable" dans la recherche jeunesse, c'est souvent des livres avec une qualité du dessin et du style, tels qu'un adulte aussi les aimerait...mais on a alors tendance à négliger ce qui plaît aux enfants, c'est-à-dire justement les Monsieur-Madame et autres Twilight! Tu ne crois pas?
    En tous cas j'aime beaucoup ton blog, qui donne à réfléchir sur la recherche en général.

    RépondreSupprimer
  3. Merci beaucoup Audrey, contente que ca te plaise! Oui c'est exactement ca - on a tendance a penser que le meilleur livre jeunesse est un livre qui plait aussi aux adultes! ce qui est loin d'etre logique. D'ailleurs la plupart des livres jeunesse dits 'classiques' sont ceux qui ont reussi a gagner un lectorat adulte.

    Difficile pour un ecrivain jeunesse professionnel de decider s'il faut privilegier les livres qui se vendent tres bien car ils plaisent aux enfants, ou ceux qui recoivent de tres bonnes critiques car ils plaisent aux adultes. Parfois, un livre fait les deux a la fois, comme la trilogie de Pullman...

    RépondreSupprimer
  4. A quand une etude sur les Harlequin alors ;o) ?

    RépondreSupprimer