vendredi 23 décembre 2011

Petites phrases à sortir aux snobs

Allez, on a un peu échauffé les esprits l'autre jour avec un billet controversé, changeons donc d'humeur aujourd'hui!

Parce que ça peut être relou de devoir affronter les toussotages ridicules et les narines relevées d'un snob malencontreusement assis à nos côtés pendant tout un dîner une fois qu'on lui a avoué qu'on aime, lit et écrit des livres pour enfants, voici quelques réponses toutes cuites à lui balancer sur le coin de la figure:

Snob: Heum heum, mais alors, n'est-ce pas, est-ce que vous avez l'intention un jour de, comment dirais-je, passer à la littérature pour adultes?

Toi: Oui bien sûr, rassurez-vous! C'est comme les pédiatres, ils aspirent tous à devenir médecins pour adultes au bout d'un moment, parce que soigner des chiards c'est pas sérieux.

Snob: Fort bien; nonobstant, tous ces livres pour euh... comment dit-on?

Toi: Enfants?

Snob: C'est cela - c'est tout de même d'une qualité abominable! Ce... ce 'Twilight', ou je ne sais quoi, bien que je ne l'aie évidemment pas lu, c'est atroce.

Toi: Mais oui, c'est une excellente idée de se baser sur le seul livre dont on entend souvent parler pour juger tout un art - Twilight est absolument représentatif de toute la littérature jeunesse, tout comme Guillaume Musso est le symbole resplendissant de la littérature pour adultes.

Snob: Oui, enfin, ma chère, moi, quand j'étais, du moins, quand j'étais, euh...

Toi: Enfant?

Snob: C'est cela, enfin non, disons, quand j'avais une taille inférieure à cette table, j'ai à peine lu ces bêtises, moi je suis vite passé à Alexandre Dumas et Victor Hugo, je n'ai pas perdu mon temps à lire des âneries, voyez-vous!

Toi: Vous me vendez tellement du rêve que je risque de soudoyer nos hôtes pour qu'ils nous mettent encore à côté au prochain dîner. Enfin, vous avez raison: le but de la littérature jeunesse est évidemment de faire passer les enfants vite vite vite à la littérature pour adultes. J'ai d'ailleurs dans l'idée d'organiser des stages intensifs pour jeunes lecteurs où ils liront un livre par jour, d'un niveau de difficulté croissant, jusqu'au jour de la remise de diplôme où ils pourront enfin s'attaquer à Des souris et des hommes. Perte de temps minimale!

Snob: Moi, ce qui me désole, et sans vouloir vous offenser, c'est que des adultes comme vous s'occupent de ces nounouilleries. Tout de même, il faudrait voir à mûrir un peu, n'est-ce pas!

Toi: Vous m'épatez de bon sens. Le lien de causalité entre niveau de maturité et intérêt pour la littérature jeunesse est évident; de la même manière, je trouve que les paléontologues devraient tout de même évoluer un peu, parce que leur intérêt pour les trucs préhistoriques, ça va deux minutes mais on a atteint un niveau de développement un peu supérieur depuis.

Snob: Mais ma chère amie, ce que je ne comprends pas, c'est que vous êtes tellement douée! Pourquoi vous obstinez-vous dans ce domaine? Vous pourriez faire tant de choses!

Toi: Et vous, pourquoi vous obstinez-vous à être journaliste au Figaro? Vous pourriez être chroniqueur chez Ruquier! Ah non pardon, il vous a déjà viré. Oui, je gâche mon talent: le talent étant, comme l'argent sur un compte en banque, disponible en quantité limitée, et le dépenser pour écrire des livres pour enfants coûte extrêmement cher, tandis qu'écrire des livres pour adultes le multiplie magiquement. Je vais bientôt être ruinée; vite, il faut que j'écrive une nouvelle sombre et nostalgique sur la ménopause pour renflouer mes stocks.

Snob: Enfin, la littérature jeunesse, c'est bien connu: ce n'est que fleurs, petits lapins et arcs-en-ciel. N'importe qui peut écrire un livre pour enfants en deux minutes sur un coin de table.

Toi: C'est vrai, et c'est à se demander pourquoi certains y passent plus de vingt minutes! Sans doute sont-ils de profonds retardés mentaux. Tenez, voici une serviette en papier et un Bic. Je brûle d'impatience de lire votre production personnelle. Et ensuite nous l'enverrons à l'Ecole des Loisirs, d'accord? Ils seront très fan des aventures de Fleurette et Grignotte au pays des couleurs.


En espérant que ces petites astuces vous aideront à tenir jusqu'au dessert.

mercredi 21 décembre 2011

L'égalité homme-femme dans l'industrie de la littérature jeunesse: un beau conte de fées

C'est un billet qui ne va pas me faire gagner des amis, mais je me lance.

Ca faisait longtemps que je le soupçonnais, mais après une petite enquête j'en suis désormais convaincue: dans l'industrie de la littérature jeunesse, les créateurs sont majoritairement des femmes, mais les hommes s'arrangent quand même pour être au sommet de la gloire.

C'est, encore une fois, une manifestation du phénomène décrit dans un billet précédent sur la critique universitaire de la littérature jeunesse.

Attention/Warning/Achtung
: quand je dis 'les hommes s'arrangent quand même pour', n'allez pas croire que je suis adepte de la théorie du complot. C'est juste pour faire formule-choc, alors continuez à lire. Comme je vais l'expliquer, il est extrêmement difficile de déterminer les raisons de ce phénomène, même si je vais essayer de le faire en conclusion.

Pour commencer, j'ai voulu connaître à peu près la proportion de femmes et d'hommes créateurs de livres pour enfants. N'ayant pas trouvé de statistiques actuelles, j'ai compulsé le répertoire de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse et voilà ce qu'on obtient pour le quota d'hommes et de femmes (illustrateurs et auteurs compris):

Femmes: 66,5%
Hommes: 33,5%

NB: Prendre en compte une marge d'erreur estimée due au comptage manuel. De plus, la Charte étant une organisation à laquelle on se joint volontairement, elle n'est pas forcément entièrement représentative.

Avec un certain degré de réserve, on peut donc estimer que deux tiers des auteurs et illustrateurs jeunesses en France sont des auteures et illustratrices.

Pour expliquer cela, du moins en partie, il est important de savoir qu'historiquement, la littérature jeunesse est l'apanage des femmes. Considérée pendant deux siècles comme un outil éducatif, la littérature jeunesse est restée longtemps une littérature féminine, sous-estimée par les hommes.

Les prix de littérature jeunesse

Allons maintenant faire un petit tour statistique de deux des prix de littérature jeunesse français les plus prestigieux, décernés par des adultes. Comme vous allez le voir, les résultats sont assez édifiants, comme le montrent ces petits tableaux. (Là encore, prendre en compte une marge d'erreur due au comptage à la main)




Pour ceux qui ont la flemme de lire les tableaux, je vous fais un zapping:

Le Prix Sorcières, toutes catégories confondues, a été attribué à presque deux fois plus d'hommes que de femmes.

Le Prix Spécial du Prix Sorcières n'a été attribué qu'à des hommes.

La catégorie 'Romans adolescents' du Prix Sorcières est la seule de toutes à compter plus de femmes lauréates que d'hommes: 8 contre 7.

Dans les albums du Prix Sorcières, on atteint le niveau record de 19 lauréats contre 3 lauréates.

Le Prix Baobab a été attribué, en tout, à plus de trois fois plus d'hommes que de femmes. De 2000 à 2008, seule une femme l'a obtenu.

Au top du top de la reconnaissance artistique dans notre domaine de création, nous avons donc une majorité écrasante d'hommes alors que, je vous le rappelle, il n'y a environ qu'un tiers d'hommes dans la population totale des créateurs de livres pour enfants.

Les médias

Attention - je ne veux surtout pas accabler les quelques rares médias qui rendent un énorme service à la littérature jeunesse en promouvant les livres et les auteur/es. C'est donc sans volonté de culpabilisation ni d'opprobre publique (!), mais simplement pour donner un exemple, que j'attire ici l'attention sur le portail de la littérature jeunesse francophone, Ricochet, excellent site internet et une mine d'informations pour nous tous.

J'ai choisi de m'attacher aux deux rubriques de ce site qui proposent de rencontrer des auteurs: la rubrique 'Les invités de Ricochet' et la rubrique 'Les entretiens de Ricochet'.



On a ici aussi, comme pour les prix, une majorité d'hommes qui, bien qu'elle ne soit pas pachydermique, est complètement disproportionnée par rapport à la répartition hommes-femmes dans la population totale des créateurs de livres jeunesse.

Pourquoi?

Il est impossible de tirer des conclusions objectives - chacun aura sa propre opinion, et on marche toujours sur des oeufs dans ce domaine. Cependant, il est difficile de nier que:

- Il existe une surreprésentation des hommes créateurs de livres jeunesse dans les lauréats des prix de littérature jeunesse français les plus prestigieux.
- Certains médias spécialisés tendent à mettre en valeur, là encore de manière disproportionnée par rapport au nombre général, les hommes créateurs de livres jeunesse.

Maintenant, la question est de savoir pourquoi cette surreprésentation existe. Et là, on a le choix entre plusieurs hypothèses réjouissantes...

1) Les hommes sont tout simplement objectivement meilleurs que les femmes dans l'écriture et l'illustration de livres jeunesse. Que ce soit dû à un talent naturel ou à une meilleure éducation artistique, leurs productions sont meilleures en moyenne et les meilleurs parmi les hommes sont meilleurs que les meilleures parmi les femmes.

(Comme vous vous en doutez peut-être, c'est une hypothèse à laquelle je n'adhère pas beaucoup!)

2) En littérature jeunesse comme ailleurs, l'homme est la norme et la femme est l'autre: en d'autres termes, chacun peut s'identifier au masculin, mais seules les femmes peuvent s'identifier au féminin. A cause de ce préjugé inconscient, on porte aux nues les créations masculines, qui sont perçues comme les représentations les plus normatives de l'art que l'on souhaite louer; et ceci, même quand ce sont des femmes qui en jugent.

3) Victimes d'un autre préjugé, celui qui fait croire que l'homme est plus créatif, plus intelligent et surtout plus sérieux que la femme, on tend à préférer les créations signées par les hommes, surtout dans le domaine de la littérature jeunesse que l'on cherche à 'valider' auprès des milieux culturels plus 'élevés'. Primer des oeuvres d'hommes garantit inconsciemment la chute du 'mignon' et la montée du sérieux dans notre domaine de prédilection. Si les hommes s'y attachent, c'est que c'est un art et non pas un hobby.

4) Les hommes, qu'ils le fassent consciemment ou inconsciemment, savent mieux s'imposer que les femmes; ils savent se mettre en avant ainsi que leurs créations, sont plus intransigeants quant aux questions de contrats, de droits et d'édition, et sont plus compétitifs et ambitieux; ils maximisent leur utilisation de leur carnet d'adresses. Dans un domaine dominé par les femmes, ils sont particulièrement aptes à se faire bien voir et reconnaître.

5) Dans un milieu où évoluent tant de femmes, c'est le sentiment de compétition qui les pousse à valoriser des hommes, avec qui elles se sentent moins en compétition, plutôt que d'autres femmes.

6) Sorties d'un système éducatif qui valorise les garçons, et évoluant dans une société qui fait de même, les femmes sont tout simplement convaincues que les productions des hommes sont meilleures.

Je pense évidemment qu'il n'y a pas de réponse claire, et qu'il y a beaucoup de chances pour que ce soit en réalité un complexe mélange des cinq dernières hypothèses. Quoi qu'il en soit, la raison n'est pas que les hommes sont méchants et les femmes sont (trop) gentilles. C'est bien sûr beaucoup plus insidieux que ça. Si, inconsciemment, les femmes admirent et applaudissent les hommes plutôt que d'autres femmes, est-ce de leur 'faute' ou de celle d'un système ancestral qui a perpétué cette admiration?

Qu'en pensez-vous? Avez-vous d'autres hypothèses? Etes-vous complètement en désaccord? Faites-moi part de votre opinion dans les commentaires.

dimanche 18 décembre 2011

Vie de meuf (universitaire)

C'est pas pour faire ma chienne de garde, mais voici un petit billet féministe du dimanche sur le thème: 'Comment les 1% de mecs dans un domaine dominé à 99% par des femmes arrivent quand même à être les premiers.'

Dans ma discipline, l'étude universitaire de la littérature jeunesse, ce n'est pas une exagération de dire qu'il y a 95% de femmes. Dans notre Centre de Recherches, il n'y a qu'un seul homme; dans tous les colloques internationaux où je me rends, il est rare qu'il y ait plus d'un homme pour 60-70 femmes.

Et pourtant, mesdames, je peux vous dire qu'on les entend.

D'après mon expérience, un homme dans une immense salle de femmes va prendre la parole au moins trois fois par session, poser les questions les plus abruptes, et donner l'avis le plus rempli de références à Foucault. L'homme va oser dire ce genre de choses:

'Votre truc, ça ne tient pas debout.'

Alors qu'entre femmes (anglo-saxonnes, il faut préciser), on ne dit jamais ça; on dit 'J'ai bien peur de ne pas tout à fait comprendre comment fonctionne votre théorie'.

Bref, un seul chromosome Y dans le coin et la conférence se transforme en show room pour son aptitude à la critique, sa connaissance en détail de la French Theory (enfin, on dirait), son air désabusé et ses capacités hors normes à prendre la parole même quand la modératrice est en train de la donner à quelqu'une qui a levé la main comme il se doit.

Le chromosome Y sait s'imposer.

'Etrangement', demandez à n'importe quelle universitaire dans ma discipline quels en sont les 5 plus grands pontes à l'heure actuelle, et il y a d'énormes chances qu'elle vous donne 3 noms de mecs et 2 noms de femmes (ok, vous voulez des noms? Jack Zipes, Perry Nodelman, Philip Nel, Peter Hunt...). Allongez la liste jusqu'à 10 et peut-être que vous aurez la parité.

3 sur 5, et 5 sur 10. Alors que, je le répète, la proportion d'hommes dans la discipline en fait presque une quantité négligeable.

Mais les hommes:
- Publient énormément;
- Ont un style d'écriture plus agressif qui fait que leurs théories semblent plus aventureuses (quand on les analyse en profondeur, c'est loin d'être toujours le cas);
- Ont beaucoup d'ambition, et donc sont surreprésentés sur les panels éditoriaux des plus grandes revues et des collections de bouquins pour presses universitaires;
- Sont plus compétitifs, et donc coiffent aux poteaux de talentueuses XX pour s'imposer aux postes de professeurs et de directeurs de centre;
- Twittent, bloguent, facebookent et sont sur Academia.com;
- Donnent des interviews dans les médias;
- Au jour le jour, bénéficient magnifiquement - et c'est là leur plus belle victoire - d'un auditoire de femmes qui, utilisant rarement les mêmes méthodes, en sont souvent relativement fascinées. Et par conséquent (ce n'est que mon expérience subjective des choses), ils sont plus rarement critiqués.

Bref, voilà comment la minorité invisible à la base devient majorité ultra-visible au sommet. Et ça marche plus ou moins de la même manière dans l'édition et dans l'enseignement primaire et secondaire.

Si j'ai le courage un de ces jours, je vous ferai un billet sur le même phénomène dans l'écriture et la critique de livres jeunesse. Parce que là aussi, le petit nombre de Y s'en sort beaucoup mieux que l'océan de XX...

dimanche 11 décembre 2011

Pod pod pod podcast


Juste pour signaler que le sixième épisode (déjà!) de mon podcast en anglais avec ma copine Lauren est en ligne! Cette fois, on discute de la religion dans la littérature jeunesse.

Au cas où vous auriez raté les précédents, on a parlé récemment de la mode des histoires d'amour paranormales, et de la mort dans la littérature jeunesse.

Vous trouverez tout ça sur le site de Kid You Not podcast, et pourrez stocker les épisodes sur votre iPod si vous vous abonnez à notre podcast sur iTunes!

lundi 5 décembre 2011

Petite update...

Je suis ultramégasuperoccupée ces derniers temps, à cause de la fin du trimestre des étudiants en licence (pour des tas de raisons leurs trimestres influencent notre rythme de travail!) mais il m'arrive quand même des choses cool. L'autre jour j'ai rencontré the Jacqueline Wilson qui est venue nous rendre visite à Cambridge pour remettre le Prix Jacqueline Wilson 2011 de la meilleure thèse de master en littérature jeunesse. Certain/es d'entre vous se souviendront que je l'avais gagné l'année dernière, mais qu'elle n'avait pas pu venir à cause de la neige. J'ai donc enfin rencontré la grande dame du 'social realist' roman ado anglais:



Elle est adorable, drôle, incroyablement généreuse et elle revient l'année prochaine et l'année d'après et celle d'après et ceci jusqu'en 2020, année où le dernier Prix Jacqueline Wilson sera attribué!

Pour ceux que ça intéresse, la gagnante de cette année a écrit sa thèse sur le motif de l'enfant sacrifié dans la série des Hunger Games, de Suzanne Collins. La mienne, vous vous en souvenez peut-être, concernait l'influence platonicienne sur le parcours éducatif dans Harry Potter.

mercredi 23 novembre 2011

Ecrivain 2.0: Comment se comparer sans déprimer


Merci à Anne-Gaëlle Balpe d’avoir suggéré ce thème.

Avant internet, je sais pas, j’étais pas née, mais j’imagine que c’était sans doute moins difficile. On écrivait, on publiait (ou pas), on voyait dans les magasins les bouquins des autres, on lisait parfois une interview dans la presse.

Maintenant, pour peu que tu blogues et que tu suives les blogs des autres, impossible de passer une journée sans lire quelque part que quelqu’un est trop super extatique parce que « Victoire! Lola championne de youpala a trouvé un éditeur !!! et mate un peu les trop belles illustrations ! »

Et là, toi qui viens de te recevoir une 249e lettre-type de refus pour un truc envoyé il y a six mois, t’as une réaction en chaîne :

  1. Woohoo bravo ! Trop belles illustrations ! Trop beau livre en perspective !
  2. Au moins il y en a une qui va passer une bonne journée !
  3. C’est toujours les autres qui passent une bonne journée.
  4. En même temps, ils écrivent tous mieux que moi.
  5. Où est ma boîte de Kleenex ?
  6. *Larmes et morve*

(J’exagère un tout petit peu.) Alors comment éviter la déprime dans un monde plein de talent ? Liste de poche de trucs et astuces :

Ne surtout pas éviter de se comparer

Au contraire, il faut absolument se comparer, mais bien se comparer, c’est-à-dire en se basant sur des critères solides au lieu d’évoquer une vague notion de « qualité » impossible à juger objectivement. Untel prend peut-être plus de risques. Unetelle est peut-être plus encline à se plier à certaines exigences du marché. Untel est peut-être plus travailleur. Unetelle mise peut-être plus sur l’humour et la légèreté. Et si ça fonctionne pour eux, alors comment peut-on adapter leurs stratégies à notre « voix », à nos thèmes, à notre manière d’écrire ?

Se comparer à soi-même

Oui, c’est un gros cliché, mais quand on compare son travail actuel au travail d’il y a plusieurs années, ça met un gros boost au moral. C’est là qu’on s’aperçoit qu’on n’a pas gâché du temps à écrire plein de trucs non publiés. On se dit au contraire qu’on est bien content que ces manuscrits-là soient restés dans les tiroirs, et que dans plusieurs années on sera encore meilleur.

Et surtout, se faire des ami/es!

La communauté d’auteurs-blogueurs est incroyablement amicale, accueillante et rigolote. C’est une communauté d’entraide et de soutien, pas d’élimination des « concurrents ». L’idée, c’est qu’on est tous dans le même bateau et qu’on comprend mieux que personne ce qui se passe dans la tête des autres. Quand on commence à se faire des ami/es dans le milieu, on en vient vite à échanger des astuces, des filons, des adresses, des manuscrits, et on évolue dix fois plus vite que si on reste dans son coin à regarder tout le monde s’activer en ronchonnant. Maintenant que je suis entrée dans cet univers, je ne peux pas imaginer ma vie et mon écriture sans lui. C’est la meilleure motivation et la distraction la plus productive qu’on puisse recommander à un écrivain.

Et toi, petit animal jaloux, comment fais-tu pour te comparer productivement aux autres? Veux-tu être mon ami? Réponds dans les commentaires.

dimanche 20 novembre 2011

Le tabou en littérature jeunesse


Merci à Mariesse d’avoir suggéré ce thème.

Le tabou, c’est l’indicible : l’interdit le plus puissant que l’on puisse concevoir, puisqu’on ne peut même pas le dire.

En littérature jeunesse, les tabous sont une vraie plaie. Personnellement, je pense qu’ils ne devraient pas exister, mais ils existent bel et bien, et avant de se lancer dans un roman pour enfants avec un thème « difficile », si l’on veut vraiment qu’il soit publié, il faut y réfléchir fermement. Car ceux qui pensent que « de nos jours, on peut parler de tout » se trompent. La plupart des éditeurs (et surtout les « grands » éditeurs) ne veulent pas publier de livres à thèmes tabous.

Cependant, les tabous évoluent, et il y avait il y a cinquante ans des thèmes complètement interdits en littérature jeunesse qui sont désormais relativement courants. Parmi eux :

  • Le divorce
  • Le sexe
  • La mort, particulièrement le suicide
  • L’avortement
  • L’homosexualité
  • La drogue
  • Le meurtre perpétré par l’adulte

Mais il y a toujours des vides sidéraux à certains endroits, qui prouvent bien que les tabous existent toujours. Actuellement, il est toujours extrêmement difficile dans un livre jeunesse d’aborder, entre autres:

  • La maladie grave
  • La prostitution
  • La torture
  • L’inceste
  • Le meurtre perpétré par l’enfant

Et plus on descend vers la petite enfance, évidemment, plus c’est risqué. Un roman « jeune adulte » comme Forbidden, de Tabitha Suzuma, peut aborder l’inceste frère/sœur (et encore, c’est un roman extrêmement controversé). Mais il est presque impossible, comme je l’ai découvert à mes dépens, de parler de cancer par le biais d’un album.

Mais pourquoi faudrait-il dire non aux tabous ?

C’est vrai, après tout : pourquoi aborder ces thèmes « horribles » ? C’est une question de conception de l’enfance. Les partisans des tabous adhèrent à une conception de l’enfance héritée de la période romantique : ils imaginent un enfant idéal, angélique, dont il faut absolument préserver l’innocence. Ceux qui pensent au contraire que les tabous sont indésirables adhèrent à une conception de l’enfance post-freudienne : l’enfant est désacralisé, l’enfance imaginée justement comme une période d’apprentissage et de négociation des interdits.

Dans la pensée moderne, cela se traduit par l’idée que le livre pour enfants est un moyen extrêmement puissant d’aborder les tabous, pour mieux les expliciter et les débarrasser de leur interdit « magique ».

Quand Judy Blume a publié Pour toujours, en 1975, personne n’avait jamais abordé la sexualité adolescente de manière aussi franche. Malgré la tempête de critiques indignées, Pour toujours est devenu un livre culte qui a aidé des millions d’adolescents à travers le monde à dédramatiser leur propre sexualité et à l’envisager avec humour et tendresse.

Les drogues dures étaient un sujet absolument tabou en littérature jeunesse jusqu’à la publication de Junk, en 1996, par Melvin Burgess. Ce bestseller mondial, encore une fois conspué par les partisans de « l’innocence », a présenté à des millions de lecteurs les scènes ultraréalistes, terriblement choquantes, d’une bande de jeunes héroïnomanes. C’était un sujet dont on ne parlait pas, et donc un sujet dont on ne savait rien.

Bien sûr qu’il faut s’adapter à la tranche d’âge lorsque l’on aborde un sujet tabou. Mais il faut les aborder, car si l’on ne le fait pas, on les nourrit. On ne « traumatise » pas les jeunes lecteurs en abordant des thèmes difficiles : il est impossible de savoir ce qui va traumatiser un jeune lecteur. Moi, j’étais traumatisée par Pinocchio et par Tistou les pouces verts.

Il est faux et dangereux de penser que les enfants ne sont pas « capables » de comprendre et d’assimiler des thèmes difficiles. Ce sont les adultes qui n’en sont pas toujours capables.

Et vous, qu'en pensez-vous? Avez-vous déjà été rejeté par des éditeurs pour cause de sujets "tabous"? Lesquels?

jeudi 17 novembre 2011

lundi 14 novembre 2011

Non aux excuses! N°5: Je gagnerai jamais d'argent!

Ca, c'est clair.

Allez, j'exagère. Il est tout à fait possible que tu te récupères de jolies sommes ici et là. Mais si c'est l'argent qui te motive pour écrire, j'espère ne pas te vexer si j'ouvre la bouche en grand pour te hurler de rire à la figure.

95% des auteur/es publié/es ont un travail à temps plein ou à temps partiel, et utilisent leurs droits d'auteur comme argent de poche. Les 5% restants 'vivent de leur plume'. Sur ces 5%, à peu près la moitié gagnent l'équivalent d'un SMIC. En réalité, beaucoup d'écrivains dits 'professionnels' comptent très souvent sur leur partenaire pour ramener un salaire fixe à la maison.

A la différence de beaucoup d'autres métiers, en plus, un écrivain doit dépenser beaucoup avant de gagner quoi que ce soit. [Petite musique d'ambiance et voix grave:] Ordinateur portable: 300€. Cartouche d'encre noire: 25€. Envoi d'un roman par la poste: 4€. Ecrire: ça n'a pas de prix. Il y a certaines choses qui ne s'achètent pas. Pour tout le reste il y a EuroCard MasterCard et tu raques comme un pigeon.

Se lancer dans l'écriture dans l'espoir de gagner beaucoup d'argent s'apparente à jouer au Loto. Il y a quelques gros gains, un certain nombre de gains moyens, et puis un océan de non-gains.

'Je gagnerai jamais d'argent' est l'excuse la plus bidon possible pour ne pas écrire, parce que même avec 2000 ou 3000 euros d'avance pour ton bouquin tu n'arriveras jamais à t'acheter quelque chose qui justifiera, économiquement parlant, tes 300 heures d'écriture, tes 20 heures de réécriture, tes 3 heures par semaine de promotion du bouquin/mise à jour de ton site, et ainsi de suite. Si tu commences à calculer ton salaire horaire, tu verras vite fait qu'écrire est l'une des activités les moins rentables auxquelles tu puisses te livrer.

Du coup, tu peux arrêter ou ne pas arrêter. Mais si pour toi c'est véritablement un choix et non une nécessité que de ne pas arrêter, c'est que tu n'es sans doute pas fait pour cette 'profession'.

Exercice de non-excuse: Calcule (avec réalisme et en utilisant les chiffres inférieurs-à-moyens du marché actuel) ce que tu peux espérer gagner pour ce que tu es en train d'écrire. Divise par le nombre d'heures que tu passes à écrire, à envoyer aux éditeurs, à promouvoir, etc. Rigole en voyant le salaire horaire final, et dis-toi que si c'est ça qui doit te motiver, alors c'est même pas la peine.

Et si vraiment, véritablement, honnêtement, franchement et irrémédiablement, il t'est absolument impossible d'accepter que tu ne gagneras jamais autant qu'un trader en étant écrivain, alors mon pote, va surveiller les cours du soja, personne ne te retient.

J'espère que ce petit marathon des excuses vous a plu, et que des excuses, vous n'en avez plus!

samedi 12 novembre 2011

Non aux excuses! N°4: Je ne serai jamais publié/e!

C'est fort possible.

C'est aussi fort possible que tu finisses par l'être, mais que jamais ça ne te satisfasse pleinement. Pour faire court: si être publié est ta seule obsession diurne et nocturne, tu vas te prendre une grosse déception dans la face.

Bien sûr qu'on écrit dans une très large mesure 'pour' être publié, et c'est extrêmement important, mais croire que la publication est une transformation magique de tout ton être à la manière d'Un Nouveau Look pour une Nouvelle Vie sur M6, c'est se fourrer le doigt dans l'oeil jusqu'à s'en gratter la luette.

Ton livre sort. Félicibravos à toi. Cette année, un million de livres ont été publiés dans le monde.

Un million.

Par voie de comparaison, la Bibliothèque Nationale de France possède quatorze millions de livres. En seulement quatorze ans, la production mondiale de livres pourrait remplir la BNF. Tout ça pour dire que Le joli Noël de Boubou dont tu es si content ne va pas perturber l'axe de rotation de la Terre.

Bien sûr, être publié apporte énormément de bonheur et de surprises, c'est gratifiant, c'est un gros boost au moral. Mais compte tenu du temps, de l'énergie, de la passion et de la frustration que tu investis dans un livre, si ton seul but ultime c'est la publication, alors le jeu n'en vaut pas la chandelle. Jamais le seul fait d'être publié ne te rendra profondément, intimement, parfaitement heureux et en paix avec ton écriture.

'Je ne serai jamais publié!' n'est pas une excuse pour ne pas écrire, parce qu'écrire et être publié sont deux formes différentes de satisfaction, et deux formes différentes de bonheur.

Il faut arrêter de se dire qu'on écrit 'pour rien' si on n'est pas publié – même si on n'est jamais publié. On n'écrit jamais pour rien. Plus on écrit, plus on développe son style, sa voix, sa technique, et même si jamais cette écriture ne se transforme en objet parallélépipédique à plusieurs folios et surface mate, on n'a pas 'gâché' ou 'perdu' ces heures d'écriture. Si elles sont là, si elles s'imposent, c'est qu'elles remplissent une fonction beaucoup plus large et beaucoup plus enrichissante que d'être publié. Il faut s'entraîner à percevoir la publication comme un effet, et non pas comme un but.

Exercice anti-excuse: Sortir d'un tiroir un manuscrit qu'on n'a jamais réussi à faire publier. Essayer de se souvenir du plaisir qu'on a pris à l'écrire, et voir s'il dépasse la déception de ne pas avoir réussi à le placer chez un éditeur.

Et si vraiment, véritablement, honnêtement, franchement et irrémédiablement, il t'est absolument impossible de te dire que le bonheur d'écrire dépasse le malheur de ne pas être publié, alors mon pote, arrête de t'imposer cette souffrance et trouve-toi un autre hobby.

Lundi, excuse numéro cinq: Je ne gagnerai jamais d'argent!